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dans lesquelles on reconnaît, sous une forme hâtive et libre, le résultat d’une longue expérience et de convictions originales.


IV

Serons-nous toujours un peuple d’entraînemens irréfléchis ? Il suffit qu’une idée émise soit juste en quelque point pour qu’on veuille l’appliquer en tout et à tous d’une façon absolue ; il suffit qu’un homme de quelque valeur apparaisse pour qu’on se jette à ses genoux et qu’on n’en veuille plus voir d’autres. Rien de plus raisonnable en soi, rien de plus utile sans doute, que ce retour à l’observation exacte de la nature vivante, que cet enthousiasme pour la vérité simple, déterminés par l’école de paysage ; mais pourquoi donc s’empresser d’en tirer tant de conclusions absurdes ? Pourquoi vouloir, sous prétexte de sincérité, renoncer à tout élan d’imagination, à tout entraînement de rêve, atout effort de réflexion ? Pourquoi, sous prétexte d’indépendance et d’originalité, se priver des armes qui peuvent seules les assurer, en délaissant les études techniques et en méprisant la discipline traditionnelle sans lesquelles on ne saurait être un artiste durable ?

Les conséquences de ces exagérations continuent à se dérouler sous nos yeux. Tandis que, d’une part, les yeux des jeunes artistes, très ouverts aux impressions vives et franches, trouvent en effet, dans le spectacle infini de la vie des choses et de la vie des hommes, un plus grand nombre d’heureux motifs qu’on n’en a jamais découverts, d’autre part, l’insuffisance du métier et le manque de réflexion les mettent continuellement dans l’impossibilité de donner à ces motifs les développemens convenables. Il nous serait facile de dresser, dans la nouvelle école, la liste lamentable des carrières brusquement avortées dans ces dernières années par suite de cette insuffisance foncière. Les peintres, plus que les autres artistes, peuvent facilement montrer, à leurs débuts, une sorte de beauté du diable, due à la jeunesse et à l’enthousiasme, dont la floraison est souvent trompeuse. Un premier succès, dû à une vivacité nouvelle d’impression ou à un heureux hasard de brosse, ne garantit point du tout chez eux les succès futurs, si le fonds d’études manque et si la conviction ne se forme pas. Ces avortemens seront d’autant plus nombreux que les hésitans, les déclassés, les déroutés se feront plus facilement une réputation provisoire parmi les apôtres tolérans et ignorons du modernisme, sauf à vouloir vainement, un peu plus tard, revenir sur leurs pas et augmenter ainsi le désarroi de cette foule sans volonté qui marche maintenant à la débandade.