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comme on peut aimer ou ne pas aimer les apôtres chauves et goitreux dont Rembrandt se plaisait à l’entourer ; on ne saurait rester indifférent à leur attention profonde et soutenue, à la bonne foi touchante qui anime et éclaire la laideur de leurs visages consolés. L’intensité de l’émotion personnelle et la franchise de l’observation réelle triomphent là de toutes les habitudes et de toutes les conventions. Dans cette peinture étrange, où la pureté des contours et la noblesse des formes tiennent si peu de place, Léonard de Vinci, qui, le premier, formula nettement la loi de l’unité expressive, reconnaîtrait mieux peut-être la vertu de ses enseignemens que dans nombre d’œuvres académiques copiées sur les siennes.

Le système de M. Matejko, que professent encore nombre d’habiles gens à Vienne et à Munich, est aux antipodes du système de M. Uhde. Nous en avons vu le triomphe en 1878, dans l’Entrée de Charles-Quint à Anvers de Makart. C’est la virtuosité fondée sur le dilettantisme et poussée à son comble à force de travail et de volonté. La Jeanne d’Arc à Reims de M. Matejko, composition tumultueuse et turbulente par les couleurs comme par les lignes, où s’agitent, dans un enchevêtrement inextricable, des têtes sanguinolentes et des robes de brocard, des bras et des panaches, des jambes et des joailleries, des enfans et des chiens, des fonds d’architecture et des apparitions célestes, est, au point de vue du métier, un tour de force qu’on eût peut-être fort admiré autrefois. Dans ce pêle-mêle rutilant et aveuglant, on pourrait signaler une quantité de morceaux de bravoure, groupes, figures isolées, accessoires, brossés avec une sûreté et une verve qui ne sont plus connus chez nous. À tout prendre, M. Matejko, qui eut de légitimes succès, n’a pas toujours fait mieux, mais notre cœur n’est plus du tout à ces fantasmagories théâtrales. La moindre clarté dans l’exposition, la moindre simplicité dans l’expression, feraient bien mieux notre affaire. Nous devons savoir gré à M. Matejko d’avoir pris tant de peine pour représenter, avec cet appareil splendide, une de nos légendes nationales ; nous reconnaissons volontiers la force d’imagination et la sûreté de pratique qu’il lui a fallu pour mener à bout une si rude tâche ; nous admirons même sincèrement un certain nombre de ses figures mouvementées, éclatantes, magnifiques, mais nous ne saurions nous dissimuler que c’est là le dernier rayonnement d’un art qui s’en va. À tort ou à raison, nous ne supportons plus qu’une œuvre d’art contemporaine reporte notre esprit uniquement à une œuvre d’art ancienne ; nous voulons qu’elle nous reporte franchement à la nature, au moins par la justesse de sa coloration ou par la sincérité de son expression. Une faute de syntaxe nous paraît moins