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de notre moyen âge. On continue à constater, en même temps, un progrès régulier dans l’exécution de M. Laurens, dont la peinture devient plus souple, plus libre, plus lumineuse ; son exemple doit encourager ses imitateurs à proportionner les dimensions de leurs cadres à l’intérêt de leurs sujets.

C’est donc à la fois par les études archéologiques et par l’observation réelle que la peinture légendaire et historique peut être renouvelée, mais un seul moyen n’y suffirait pas. L’archéologie seule ne peut faire des peintres, le naturalisme seul ne peut faire des historiens. Verser entièrement du côté de l’archéologie, c’est s’exposer, comme MM. Lecomte du Nouy, Aman-Jean, Rachou, à ne produire que des imitations glaciales des documens fournis par l’érudition. Qu’il y ait chez l’auteur de Rhamsès dans son harem une connaissance très attentive des peintures de l’antique Égypte, chez celui de Jeanne d’Arc un respect exalté des miniatures pieuses du moyen âge, chez celui de l’Entrée du dauphin à Paris un emploi curieux des armures et des costumes du XIVe siècle, cela n’est pas douteux ; mais la recherche d’une exactitude toute matérielle a éteint leur verve d’artistes ; leurs restitutions sont figées, sans accent, sans force, sans vie. Or, manquer dévie, dans une œuvre d’art, de vie réelle ou idéale, c’est un crime inadmissible ; au contraire, le moindre accent de vie y fait pardonner bien des maladresses. Les Derniers momens de Chlodobert, par M. Maisonneuve, le Saint Louis distribuant des aumônes, par M. Lesur, ne sont certes pas des œuvres d’une inspiration bien originale ni d’une exécution bien sûre ; néanmoins, on y remarque quelques morceaux compris et traités avec une vigueur saine qui donnent un certain espoir dans l’avenir de leurs auteurs.

Les renseignemens fournis par l’érudition ne sont bons pour un artiste que lorsqu’il sait s’en servir en artiste et trouver dans les détails précis des architectures, des mobiliers, des ajustemens d’autrefois des effets nouveaux au point de vue de l’expression pittoresque. C’est ce que cherche à faire M. Benjamin Constant lorsqu’il prend un nom historique comme prétexte à une étude d’étoffes éclatantes et de scintillantes orfèvreries. Sa Théodora, assise ou plutôt enchâssée dans son siège de marbre, comme une idole chargée de pierreries sur un autel émaillé, donne une impression d’immobilité dominatrice assez orientale et byzantine ; néanmoins, la valeur de l’œuvre réside presque tout entière dans le jeu de la lumière sur les ors de la couronne, les pierreries du gorgerin, les perles des bagues. M. Cabanel a placé sa Cléopâtre dans une situation plus dramatique, en lui faisant essayer des poisons sur des condamnés à mort ; la colonnade polychrome du temple