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marécages, se bousculant sous une pluie battante, traînant dans les fondrières leurs targes peintes, toute cette cohue de vilains crottés, aux têtes blondes, qui s’agenouille en criant merci, tandis que, sur la chaussée haute, à l’arrière-plan, s’efforce d’avancer vers le vainqueur une procession suppliante de prêtres et d’enfans de chœur, défendant à grand’peine, contre la rafale, ses bannières en lambeaux. C’est un désastre lamentable ; M. Tattegrain a vraiment su donner à ces pauvres Flamands, qui se querellent encore dans la commune honte, un accent naïf de dépit et de terreur tout à fait émouvant. Voilà du bon réalisme et bien appliqué. L’exécution est consciencieuse, un peu molle encore dans certaines parties, sans liaison toujours suffisante, mais la note est nouvelle et vivement donnée. M. Jean-Paul Laurens avait déjà indiqué, dans quelques-unes de ses œuvres, le parti qu’on peut tirer de l’étude attentive des types populaires, notamment des types provinciaux et rustiques. On voit que son indication était bonne, et tous ceux qui traiteront désormais nos sujets nationaux ne pourront se dispenser de cette étude préalable.

Quels que soient l’indifférence ou le dédain des marchands, des industriels, des amateurs, des reporters pour la peinture d’histoire, il est certain que c’est la forme d’art qui deviendra de plus en plus nécessaire dans notre pays à mesure que l’instruction s’y développera, que les édifices publics s’y construiront en plus grand nombre, que le sentiment patriotique s’y condensera et s’y fortifiera. Son développement et son encouragement devraient être la plus haute préoccupation de l’état, et nous ne comprenons guère, pour notre part, l’acharnement que met, en général, la critique française à décourager actuellement tous les efforts faits, presque chaque année, dans ce sens, par des jeunes gens plus ou moins habiles, mais bien intentionnés, qu’il suffirait de soutenir quelque peu pour les empêcher de tomber, comme.tant d’autres, dans le mercantilisme ou dans la pornographie. Ce qui est clair aussi, c’est que la peinture d’histoire ne peut plus désormais être traitée d’après les formules académiques, en vue d’un pur effet de décoration, de couleur ou de style, et qu’on lui demandera de plus en plus la vraisemblance des choses retrouvée à la fois par l’étude des documens anciens et par l’observation de la réalité contemporaine. Nous disions tout à l’heure l’action heureuse qu’aura eue sur ce point M. Jean-Paul Laurens ; nous constatons que cette action n’est pas près d’être épuisée, car le petit tableau qu’il expose, l’Agitateur du Languedoc, montre, chez l’illustrateur énergique des Récits mérovingiens, une force d’évocation, en fait de physionomies, de plus en plus sûre, pour toutes les périodes