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de l’assemblée constituante, au lieu de lui donner une organisation plus régulière, lui substituent la garde nationale, « cette noble milice, » comme l’appellera bientôt Dubois-Crancé. En vérité, l’histoire a de singulières injustices, et l’on ne peut sans quelque attendrissement songer à ces petits soldats provinciaux, à leur triste sort et à leur fin plus triste encore. Ce n’étaient pas de grands guerriers sans doute ; isolément surtout, on ne pouvait guère compter sur eux, si ce n’est dans les places, et encore[1] ! Bien encadrés, dans de vieilles troupes, ils faisaient pourtant assez bien. Mais à qui la faute s’ils n’ont pas fait mieux, et qui dira jamais ce qu’il y eut dans cette jeunesse, poussée comme bétail aux armées, d’obscurs dévoûmens et de forces vives perdues, faute d’un meilleur régime ?


IV. — L’ARTILLERIE.

L’artillerie, grâce à Vallière et surtout à Gribeauval, avait fait de grands progrès. Jusqu’à eux, l’arme était restée dans l’état où l’avait laissée Vauban, excellente pour la guerre de sièges, de chicanes et d’expéditions restreintes, comme l’aimait et la pratiquait Louis XIV, tout à fait insuffisante et comme nombre et comme mobilité pour la guerre à la Frédéric II, par grandes marches et par vastes déploiemens.

L’ordonnance du 5 février 1720 lui avait bien donné plus de consistance et d’homogénéité en réunissant les divers élémens[2] dont elle se composait en un seul corps, formé de cinq bataillons s’administrant séparément, sous la direction nominale du grand-maître et sous le commandement réel d’un colonel inspecteur. Mais il restait à compléter cette organisation, dont les traits essentiels existent encore aujourd’hui, par la réforme d’un matériel vieilli et par l’augmentation d’un personnel qui avait cessé de répondre aux besoins du moment. Le temps n’était plus, en effet, où le rôle de l’artillerie, sur les champs de bataille, consistait à se placer dans une position déterminée, à s’y fortifier, quand elle le pouvait, par des ouvrages de campagne, et à y demeurer tout le temps de l’action, « trouvant ainsi parfois l’occasion de faire de grands ravages dans les rangs ennemis, mais le plus souvent

  1. En 1760, le maréchal de Castries écrit à Broglie (13 octobre) que, vu l’importance de Dusseldorf, il y envoie le régiment de Lockmaria. « La place ne serait pas, dit-il, à l’abri d’un coup de main, s’il ne lui restait que de la milice. »
  2. Ces élémens étaient : les 4 bataillons du Royal-Artillerie, les 2 de Royal-Bombardiers, 4 compagnies séparées de canonnière, 4 de mineurs et 1 compagnie de canonniers dite des côtes de l’Océan.