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contre la violation du territoire de l’empire, les archevêques électeurs réclamaient les privilèges de la neutralité dans laquelle ils avaient le droit de se renfermer. Qu’exigeait-on d’eux ? C’était donc une prise de possession indéfinie de l’Allemagne par la France ! Les Français se croyaient dorénavant en Allemagne comme chez eux, et, de gré ou de force, ils voulaient contraindre tout le monde à combattre avec eux et pour eux ! Aussi bien n’était-ce pas le dessein annoncé dans ces lettres du maréchal de Schmettau qu’avait si à propos interceptées Marie-Thérèse et dont retentissaient toutes les gazettes ? « Voilà donc l’abcès crevé, écrivait à l’électeur de Cologne son confrère de Trêves, ce pauvre personnage que Belle-Isle avait tenu un jour tremblant et presque pleurant à ses pieds : « Si nous subissons cet affront, il ne nous reste plus qu’à enterrer honteusement, aux yeux de tout l’univers, la liberté germanique ! » Quand celui-là se révoltait, on peut juger ce que faisaient les autres. « Voyez-vous, disait le jeune duc de Wurtemberg (un des confédérés de Francfort qui continuait à nous rester fidèle), l’empire, accoutumé à la domination de l’Autriche, est un ours apprivoisé qui ne sait danser que sur un seul air. Si on veut lui en apprendre un nouveau, il commence par grogner et finira par dévorer celui qui lui change sa musique[1]. »

Ce fut au milieu de populations animées de ces sentimens d’irritation, et qui le regardaient passer d’un air sombre et menaçant, que Belle-Isle dut faire route pour arriver à Munich, où il avait à conférer avec l’empereur. Là, un autre spectacle l’attendait. C’étaient l’effroi et la consternation. Les événemens de Bohême arrachaient, par un triste réveil, le pauvre Charles VII à ses rêves de gloire, au plaisir de dormir sous son propre toit, de se promener dans ses beaux jardins et de vivre avec les siens dans son palais. Du moment, en effet, que la Bohême était reconquise et l’Autriche à l’abri de tout péril, le prince de Lorraine, redevenant libre de ses mouvemens, pouvait à toute heure reparaître en force sur la frontière bavaroise, et rien ne l’empêchait de marcher droit sur Munich. Charles, regardant autour de lui, reconnaissait, mais trop tard, qu’il était sans défense, dans une ville tout ouverte, protégée seulement par une armée aussi faible moralement que numériquement, et aussi mal équipée que mal commandée. Passant de la présomption au désespoir, le faible prince se voyait déjà obligé de fuir

  1. L’Électeur de Trêves à l’Électeur de Cologne, 28 novembre 1744. (Ministère de la guerre. — Correspondances diverses.) — Correspondance de Lanoue, ministre résident auprès de la diète de Francfort, novembre 1744, passim. — Chavigny au roi, 27 novembre 1744. — Belle-Isle à Vauréal, 29 novembre 1744. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.) — Correspondance de Laurence, chargé d’affaires d’Angleterre à Berlin, 15 janvier 1745. Record Office.