de fatalité qu’ils auraient, au début, subie à contre-cœur et dont la dureté de leur sort aurait fait une habitude ; le bien les attire, et ils s’y livrent sans hésiter lorsqu’on le leur offre, car ils en comprennent l’utilité. De cette classe de petits vagabonds, on est en droit de tout espérer, quand on sait faire germer les bonnes semences qu’ils contiennent, quand on les aime et que l’on en prend soin. il ne faudrait pas beaucoup forcer l’histoire pour démontrer qu’un « voyou » déluré peut devenir célèbre, être le plus grand chirurgien de son temps et s’appeler Dupuytren.
M. Charles Robert, dont le ministère de l’instruction publique a gardé bon souvenir, et qui est un des fondateurs de l’école industrielle protestante, a raconté l’histoire d’un enfant qu’il a vu et interrogé dans une des cellules de la Petite-Roquette[1]. Il en est peu de plus instructives. Ce pauvre petit détenu n’a d’autre nom que son numéro d’écrou ; il s’appelle 784. Il est né en 1861 et est élevé par une grand’mère qui lui apprend à prier et lui enseigne quelques principes de morale ; son père s’enivre, sa mère mène une existence déréglée et le force à mendier en le taxant à 10 sous par jour. Il est honteux de ce qu’on lui fait faire, il n’a que dix ans et demi, mais il a la pudeur de sa dignité, et se sauve de Reims, qu’il habite, après avoir pris dans le porte-monnaie de sa mère 16 sous pour ses frais de route. Poussé par l’esprit d’aventure, il partait pour découvrir le monde. À Laon, il va manger à la caserne ; vivant au hasard, d’un morceau de pain reçu à la porte d’une ferme, d’une betterave arrachée dans un champ, il traverse Clermont, Pierrefitte, Saint-Denis, et arrive, un soir, à Paris, stupéfait de tant de lumières, de bruit et de voitures. Un sergent de ville voulut l’arrêter comme vagabond ; l’enfant était intelligent, il plaida sa cause avec vivacité, les curieux s’attroupèrent, une bonne femme le réclama, on fit une collecte pour lui, il fut laissé en liberté, et le lendemain, ayant en poche la somme de 32 sous, il partit pour Lyon, à pied, au long de la route, comme un bon petit piéton qu’il était. Il s’emploie où il peut, gagne son pain, visite Lyon pendant quinze jours, descend le Rhône jusqu’à Arles en épluchant les légumes pour le cuisinier d’un bateau à vapeur ; il va voir la mer à Marseille, puis, refoulant sa voie, il revient à Lyon, s’attache à un cirque américain dont il balaie l’arène, l’accompagne à Belfort, à Strasbourg, et là, tourmenté par le mal du pays, il se dirige vers la ville de Guise où il est né. L’hiver l’arrête à Haut-Clocher, dans le département de la Meurthe ; il y passe quelques mois, chez un
- ↑ École ou Prison, par M. Charles Robert. Paris, 1874 ; Société des écoles du dimanche.