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était placé au milieu du vivier ; il était dans le pays même du vagabondage, là où l’enfant se perd presque naturellement, entraîné par l’exemple, peu surveillé par la famille, fuyant le travail contraire à ses instincts, et avide d’une liberté qui l’excite aux sottises avant de le pousser au méfait. Belleville, La Villette, Ménilmontant sont les lieux de prédilection où se recrute le personnel que « la correction paternelle » envoie achever de se perdre à cette prison dépravée de la Petite-Roquette, qui devrait disparaître, comme ont disparu les cloaques dont Paris était empoisonné jadis. Tout a été dit sur cette geôle, qui produit un résultat inverse de celui que l’on cherche ; il n’y a plus à y revenir ; l’expérimentation n’a que trop duré, il serait temps d’y mettre fin, car on peut affirmer que, sauf quelques très rares exceptions, cette maison d’amendement a détruit tous ceux qu’elle avait mission de sauver. L’uniformité même de la discipline, la brutalité de la cellule, sont une cause de perdition pour les natures ondoyantes et multiples de l’enfance. Seul avec lui-même, l’enfant se conseille mal ; la répression dont il est l’objet est le plus souvent disproportionnée avec la faute commise ; il le comprend, s’insurge contre l’injustice dont il est on dont il se croit la victime ; de là naissent en lui des sentimens de révolte qui mûrissent lentement, trouvent leur formule et s’exerceront plus tard sur une société pour laquelle il n’éprouve plus que de la haine. Les jeunes filles qui traversent la correction paternelle à Saint-Lazare en sortent pourries, les garçons qui la subissent à la Petite-Roquette en sortent prêts au crime. Tout cela est à changer, car ces deux léproseries morales sont indignes d’une nation civilisée.

Je n’ai jamais compris pourquoi, dans nos colonies en formation, — l’Algérie, le Sénégal, le Tonkin, bientôt Madagascar, — nous n’avons pas des établissemens, non pas de correction, mais d’éducation, où l’on enverrait les jeunes vagabonds qui pullulent en France. Tout en leur distribuant un bon enseignement primaire, il serait facile de développer leur adresse, leur force, leur agilité et d’en faire, pour les troupes d’outre-mer, des recrues acclimatées, déjà façonnées au maniement des armes et qui seraient redoutables aux heures de combat. On n’a qu’à se rappeler l’héroïsme dont la légion étrangère a fait preuve sur les rives du Fleuve-Rouge, pour comprendre que la plupart des hommes qui repoussent les conventions sociales sont de précieux auxiliaires dans les aventures lointaines. En tout cas, il vaut mieux exercer des conscrits que de garder des détenus.

Lorsque l’enfant est saisi par le vagabondage, à l’heure où il devrait recevoir les leçons de l’école, s’initier à l’apprentissage d’un métier, en un mot, se préparer à la vie, le pauvre petit est dévoyé ;