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courage de le réclamer. — « J’ai mis huit jours de Manheim à Eisenach, écrivait le marquis de Vaulgrenant se rendant en Saxe, sans manger, boire ni dormir ; il n’est sorte de mauvais procédés, de friponneries, de retardemens que je n’aie éprouvés, même sur les terres de Saxe, malgré le passeport du roi de Pologne[1]. »


II

Mais si l’humiliation était grande et le danger personnel menaçant pour les Français résidant ou même faisant route en Allemagne, ce n’était pourtant pas la France elle-même qui était le plus directement atteinte, puisqu’elle gardait en Flandre tous ses avantages, et qu’une de ses armées, prudemment ménagée pendant l’hiver, restait intacte et l’arme au bras sur le Rhin. Bien plus grave, bien plus périlleuse devenait la position de Frédéric, que la défection de la Bavière laissait absolument seul au milieu de l’Allemagne, en butte à toutes les attaques et en face de sa rivale triomphante. Non que l’événement le prit tout à fait par surprise, car, mieux informé ou moins enclin aux illusions que Chavigny, il n’avait jamais fait grand fonds sur les promesses d’inébranlable fermeté arrachées à l’électeur ou à sa mère ; mais il avait espéré que, moyennant quelques bonnes paroles de sa part et des secours plus effectifs de la France, on pourrait maintenir le jeune prince dans une attitude de résistance, au moins pendant le temps nécessaire pour créer quelque embarras à l’Autriche, paralyser une partie de ses forces, et laisser arriver et agir les conseils pacifiques de l’Angleterre. Si une négociation s’engageait d’ailleurs (comme il voulait toujours s’en flatter), il lui importait essentiellement de garder groupés autour de lui les princes qui l’avaient secondé dans la lutte, de pouvoir porter la parole au nom de l’héritier de Charles VII et de tous ses défenseurs. — « Empêchez l’électeur de céder, si c’est possible, écrivait-il à son envoyé à Munich, et si vous le voyez mollir, tâchez au moins qu’il ne précipite rien et que nous ne tirions pas les uns sur les autres. » — La rapidité de la victoire de l’Autriche et l’effondrement de la Bavière qui en était la suite, en devançant son attente, trompaient son calcul : le coup qui lui enlevait ses alliés de la veille le privait en même temps de tout espoir d’obtenir de ses ennemis une paix honorable. On a déjà vu que le ministère anglais, devant ce succès qui dépassait ses prévisions et peut-être ses vœux, avait dû renoncer à ramener à des vues conciliantes, soit les

  1. Correspondances de Bavière, de Trêves, de Cologne, de Mayence, de Manheim, de Francfort, de Saxe, etc, mars-avril 1745 passim. — Ministère des affaires étrangères.)