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rationnel, déplace le centre de gravité de l’ensemble. Aussi l’on respire, on retrouve toutes choses en ordre quand vient à la fin du duo le beau serment à l’unisson, accompagné par un trémolo vieux style, qui soutient les voix au lieu de les écraser. Si tout est prémédité chez Wagner, si l’on doit avec lui se rendre compte de tout, pourquoi donc a-t-il mis ici dans la bouche du couple méchant une phrase de la douce Elsa au premier acte? Faut-il voir là un hasard ou une intention?

Souvent, dans Lohengrin, les hasards du génie reposent des intentions du talent. On donnerait toutes les combinaisons du monde pour l’air d’Elsa aux étoiles. Eh! oui, c’est presque un air, assez court, mais un air : autrement dit une phrase mélodique avec un commencement, un milieu et une fin, une phrase qui ce suit, qui s’épanouit en modulations adorables et revient s’éteindre amoureusement dans la tonalité où elle était éclose. Le duo des femmes marque très fortement l’opposition des deux caractères; il accuse le contraste entre la perfidie d’Ortrude et la simplicité d’Elsa. On voit jusqu’au fond de ces âmes, l’une indulgente et l’autre farouche. Les moindres phrases d’Elsa débordent de mansuétude et de pitié, de cette pitié qui naît du bonheur. Dès que parle la jeune fille, l’orchestre s’adoucit et s’éclaire; il s’assombrit au contraire pour accompagner la superbe apostrophe d’Ortrude appelant à son secours les dieux infernaux. Ce duo, dont l’allure, l’instrumentation même, rappellent Weber, se termine par une effusion délicieuse, une des phrases les plus exquises que Wagner ait trouvées. Comme il accueillait de pareilles inspirations quand elles venaient à lui, et comme nous leur faisons fête ! Les voilà, les vraies beautés de Wagner, différentes sans doute des beautés déjà connues et aimées, mais non pas en contradiction avec elles.

Il faudrait raccourcir beaucoup ce second acte. Le réveil du château est un tableau pittoresque, avec les appels de trompettes douces, mais les proclamations du héraut se répètent trop. La marche des fiançailles est un chef-d’œuvre bien connu. Les deux thèmes en sont nobles et dignes de se réunir. L’apparition d’Elsa surtout est splendide. Quand la jeune épousée s’arrête, c’est d’elle, de sa beauté que semblent rayonner la lumière et l’harmonie. La péroraison atteint sans tapage le maximum de l’intensité sonore; des élans de violens syncopés d’octave en octave soulèvent l’orchestre tout entier, comme des lames de fond soulèvent la mer; mais à partir de ce moment l’acte se traîne en des longueurs terribles. Ortrude, d’abord, querelle Elsa, puis Telramund l’insulte longuement à son tour. Lohengrin et le roi surviennent, les chœurs succèdent aux chœurs, le drame ne marche pas, tout cela est lourd, pénible, chargé d’ennui.

En revanche, le dernier acte est au moins l’égal du premier. Si antipathique, si haïssable que soit parfois la musique de Wagner, si haut qu’on puisse le dire à l’occasion, il ne faut pas dire moins haut,