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pas augmenté le nombre. Deux heures de travail musculaire contre soixante-dix heures de travail intellectuel quelle dérision !

Les élèves, il faut le dire, ne montrent pas plus d’entrain pour ces exercices que ceux qui sont chargés de les leur enseigner. Cela se comprend : on n’a rien fait pour leur en donner le goût. La gymnastique n’est pour eux qu’un cours supplémentaire auquel ils s’empressent de se soustraire s’ils le peuvent. Ces mouvemens monotones, s’exécutant en silence, sous l’œil du maître, sont absolument dépourvus d’attrait. Ce n’est plus qu’une leçon ajoutée à tant d’autres, qu’une fatigue, qu’un ennui d’une autre espèce, et voilà tout. Quel contraste entre ces travaux de force exécutés, comme à regret, dans la cour étroite d’un lycée, et les ébats joyeux de ces mêmes jeunes gens, lorsqu’ils se livrent, en plein soleil, en pleine liberté, aux jeux de leur âge et aux exercices de leur goût ! Au lieu des évolutions méthodiques du trapèze et du portique, c’est la course, le saut, la lutte et le pugilat au besoin ; ce sont les longues promenades dans lesquelles chacun s’amuse à sa guise. On s’exerce à grimper aux arbres, à franchir les ruisseaux, à escalader les rochers. Les plus favorisés suivent leurs parens à la chasse, à la pêche. Si la mer est proche, on n’a pas besoin de professeur de natation, et on apprend vite à conduire un canot et à manier un aviron. Dans ces courses, si profitables pour la santé, l’esprit se repose et se détend. Il se retrempe pour l’étude prochaine, et l’élève, qui s’est bien diverti, l’aborde presque avec plaisir. Il reprend ses livres sans se faire prier, tandis que son camarade de l’internat, après sa leçon de gymnastique, rentre nonchalamment à l’étude, s’assoit d’un air ennuyé devant ce pupitre confident de ses peines, et reprend avec un soupir son fastidieux et stérile labeur.

Les exercices en pleine campagne n’ont pas seulement pour avantage de développer les forces physiques et de reposer l’esprit, ils donnent aux enfans la-vigueur, l’adresse, l’agilité, la précision des mouvemens et l’expérience des mille petits dangers qu’ils sont destinés à affronter dans le cours de leur existence. C’est un apprentissage comme un autre, et il faut le faire de bonne heure, sous peine de rester toute sa vie empêtré, gauche et maladroit. On reconnaît d’un coup d’œil les jeunes gens qui ont grandi captifs de ceux qui ont été élevés en liberté.

Les accidens que les mères redoutent, lorsqu’elles abandonnent leurs fils à eux-mêmes, ne sont pas à craindre quand on a eu soin de commencer de bonne heure, et de donner aux enfans, dès le plus jeune âge, la somme de liberté compatible avec leur développement physique et intellectuel, en exerçant sur eux une surveillance attentive. L’enfant fait, petit à petit, l’éducation de ses organes; il s’accoutume au monde extérieur et aux risques qu’on peut y courir ;