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de se soumettre au même régime que leurs collègues de l’internat. J’ai, depuis quelque temps, entendu les plaintes de bien des pères de famille, appartenant aux classes de la société dans lesquelles on connaît le prix du temps et la valeur du travail intellectuel. Tous m’ont déclaré que la vie faite à leurs enfans était devenue intolérable; qu’ils n’avaient plus un instant de loisir; qu’il leur fallait veiller jusqu’à une heure avancée de la nuit, et qu’on était obligé de les contraindre à sortir de temps en temps pour prendre l’air. J’ai vu des mères, et des plus intelligentes, déplorer, les larmes aux yeux, l’état de santé de leurs fils. Elles les voient, pendant le cours de l’année scolaire, s’étioler, s’amaigrir, devenir nerveux, irritables, dyspeptiques ; puis, lorsque l’heure des vacances a sonné, lorsqu’elles peuvent les emporter dans l’air salubre des montagnes, et les laisser vivre au grand soleil, en pleine liberté, la gaîté de leur âge revient comme par enchantement, avec le coloris et la fraîcheur de la jeunesse, avec l’appétit qu’on a d’habitude à quinze ans. Les vacances finies, il leur faut rentrer au lycée, reprendre le collier de misère, s’étioler de nouveau et attrister encore leurs mères. Et cela pourquoi? Parce qu’on a pris à tâche de vouloir faire entrer toutes les connaissances pêle-mêle dans ces jeunes cerveaux, alors qu’on devait se borner à leur enseigner ce qu’il faut savoir pour pouvoir s’instruire plus tard. Il faut qu’ils apprennent en neuf ans : le français, le latin, le grec, une langue étrangère, l’histoire ancienne et l’histoire moderne, la géographie, la philosophie, l’arithmétique, les élémens de la géométrie, de l’algèbre, de la physique, de la chimie et de l’histoire naturelle. Il faut du moins qu’à la sortie du collège ils aient effleuré tout cela. Cet enseignement encyclopédique, cette instruction de catalogue épuise, avant le temps, ces intelligences à peine formées, et les rend souvent obtuses pour le reste de la vie. Les arbres élevés en serre-chaude ne donnent que des fruits sans saveur; les esprits surmenés font de même. Le résultat le plus clair de ce système d’éducation est d’enlever aux jeunes gens le goût du travail. Lorsque l’heure de la délivrance arrive, ce qui domine chez eux, c’est l’horreur de l’étude. Il en est un grand nombre qui ne peuvent plus se réconcilier avec elle, et qui perdent ainsi l’une des plus douces, l’une des plus nobles jouissances de la vie.

J’ai dit plus haut combien les récréations étaient insuffisantes comme durée; elles le sont encore davantage par le triste usage qu’on en fait. Lorsqu’on entre dans la cour d’un grand lycée à l’heure où les jeunes gens y sont réunis, on est surpris de la façon dont ils utilisent le temps si court qui leur est accordé pour se distraire. Les plus jeunes crient et se bousculent ; les grands se promènent