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les conduire avec trop de précipitation. Aujourd’hui, suivant la formule de Fonssagrives, dont les livres sur l’éducation ne sauraient être trop médités[1], l’enfant travaille trop tôt; il travaille trop; il travaille mal, il travaille dans de mauvaises conditions d’hygiène.

L’enfant a besoin avant tout de grand air, d’agitation et de mouvement. Ses organes, comme son intelligence, ne sont pas faits pour un travail soutenu. Les petits enfans ne sont pas à leur place dans une école. Tout y est contrainte pour eux. On les y maintient pendant de longues heures, assis sur des bancs, courbés sur des livres; on leur y impose l’immobilité, le silence, l’attention, trois choses qui leur sont interdites par l’état de leurs organes : l’immobilité et le silence, par le développement encore imparfait des appareils du mouvement et de la voix qui réclament un exercice continuel; l’attention, parce que leur cerveau n’est pas encore en état de supporter une application soutenue. Leur esprit, sans cesse en éveil, passe d’une impression à une autre avec la rapidité de l’éclair. L’enfant saisit vite, mais il n’est pas susceptible de réflexion, et c’est en vain qu’on cherche à fixer sa pensée sur la compréhension d’un sujet un peu difficile. Il interroge sans cesse, parce qu’il a tout à apprendre ; mais s’il ne saisit pas, du premier coup, l’explication qu’on lui donne, il ne s’obstine pas et passe à autre chose. Il est à l’âge où on emmagasine des connaissances qu’on digérera plus tard. Sa faculté dominante est la mémoire ; il l’exerce sans cesse d’une manière inconsciente. Quel est celui d’entre nous qui ne se souvient pas d’avoir trouvé, homme devenu, l’explication d’une énigme qu’il gardait dans son souvenir depuis sa petite enfance ?

Il est aussi illogique de vouloir exiger de ces petits êtres une attention prolongée que de les maintenir immobiles et silencieux sur leurs bancs. Il serait périlleux de l’obtenir. L’enfant ne reste tranquille que quand il est malade ou qu’il va le devenir ; tant qu’il se porte bien, il proteste à sa manière. L’instinct de la conservation, dont la nature a doué tous les êtres vivans, lui inspire une résistance salutaire. Il se trémousse sur son banc, par le à l’oreille de son voisin, étouffe ses éclats de rire, s’amuse d’une mouche qui vole, et n’écoute pas. C’est là ce qui le sauve des déviations de la colonne vertébrale, de la méningite et de l’imbécillité. Les parens qui recommandent sans cesse à leurs enfans de se tenir tranquilles, de ne pas faire de bruit, de prendre garde à leurs vêtemens, ne se

  1. J.-B. Fonssagrives, professeur d’hygiène à la faculté de Montpellier : Éducation physique des filles'. Paris, 1869. — Éducation physique des garçons Paris, 1870. — Entretiens familiers sur l’hygiène. Paris, 1869.