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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

échouer devant la résistance des privilégiés et la faiblesse de la cour, et, jusqu’au dernier moment, en dépit de toutes les prescriptions légales, le nombre des officiers-généraux et particuliers ne fera qu’augmenter. En 1775, l’état-major de l’armée se composait de 1,029 personnes; en 1789, après les réformes de Saint-Germain, il en comptait 143 de plus, soit 1,159[1] !

Il est vrai que la réforme entreprise par le conseil de la guerre en 1788 ne faisait pas encore sentir ses effets. J’ai déjà signalé plus haut l’importance de cette réforme relativement à l’ordre divisionnaire et à l’avancement. Préparée par des hommes animés du plus sincère libéralisme, elle n’est pas moins remarquable en ce qui touche u la hiérarchie de tous les emplois militaires » et la réduction du nombre des officiers-généraux, de troupes ou d’administration[2]. Il y a là, de la part et à l’honneur de l’ancien régime, un très sérieux et généreux effort vers la justice et vers l’égalité.

Favoritisme. — Il n’y a qu’une légitimité pour les gouvernemens absolus, c’est de mettre leur toute-puissance au service des intérêts généraux. Richelieu, Mazarin, Louis XIV, Carnot, Bonaparte, ont commis de grandes fautes, des crimes même. Leur excuse est et sera toujours d’avoir eu la passion de la France, et que, dans les pires excès, chez eux, la préoccupation du bien de l’état, l’idée de sa grandeur, alors même qu’elle se confond avec la pensée de leur propre gloire, n’est jamais absente. Prenez la révocation de l’édit de Nantes ou le blocus continental et cherchez-en sans parti-pris les causes. Croyez-vous qu’il suffise d’attribuer le premier de ces actes à l’influence de Mme de Maintenon, le second à un accès de folie furieuse dicté par la haine au génie déséquilibré? Non, dans ces deux énormes fautes, il y a plus, n’en déplaise à Michelet, qu’une main de femme ou qu’une colère de despote ; il y a la France et le sentiment, exagéré peut-être, mais louable en somme, de sa puissance et de son unité! Au contraire, quand les gouvernemens absolus ne savent pas s’élever à la considération des intérêts généraux, autour d’eux tout se détend, se rabaisse et se corrompt; tout périclite et languit.

  1. État militaire de la France en 1789.
  2. Ordonnance du 17 mars 1788, portant règlement sur la hiérarchie des emplois militaires. Ordonnance du 17 mars 1788, portant suppression des mestres de camp en second dans tous les régimens tant d’infanterie que des troupes à cheval. Ordonnance du 17 mars 1788, portant suppression éventuelle de toutes les charges de colonels-généraux. Ordonnance du 15 avril 1788, portant réduction du nombre des offices de commissaires des guerres; ordonnance du 10 juin 1788, portant suppression de tous les capitaines dits à la suite ou attaches dans la cavalerie et les dragons.