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élémens disparates une ou deux armées, la campagne s’ouvrait enfin.

Le vice du système éclatait à tous les yeux et déjà plus d’un effort avait été fait pour y remédier. Sous Louis XIV, après la guerre de Hollande, Louvois avait eu l’idée de former des camps permanens « afin de perfectionner l’instruction des troupes et de les rompre à la fatigue[1]. » Quelques années plus tard, en 1698, un rassemblement de soixante mille hommes à Compiègne était ordonné pour l’instruction du jeune duc de Bourgogne, disait-on, en réalité pour montrer à l’Europe que l’armée française n’avait encore rien perdu de ses qualités manœuvrières, sous les successeurs des Turenne et des Condé. Après la déroute de Dettingen, en 1744, pour rétablir la discipline, refaire l’armée que d’Argenson venait de lui confier et qui allait s’illustrer à Fontenoy, Maurice de Saxe n’avait pas trouvé de meilleur moyen que de la tenir pendant plusieurs mois au camp de Courtrai et de l’y soumettre aux plus rudes travaux. Enfin, à une date beaucoup plus rapprochée, le comte de Saint-Germain, sous l’influence de l’école allemande, avait essayé de reprendre et de généraliser ces erremens. Convaincu que a l’ancienne erreur qui prive les troupes en temps de paix des chefs destinés à les conduire en temps de guerre a été de tout temps la première et la principale cause des revers de la nation[2], » il avait présenté et fait signer au roi une ordonnance qui répartissait les troupes et partageait la France en seize divisions militaires, commandées chacune par un lieutenant-général et par trois maréchaux de camp[3], chargés spécialement d’instituer des manœuvres d’ensemble. Malheureusement, cette création touchait à trop d’intérêts et menaçait trop de situations acquises pour durer, et le prince de Montbarey l’avait laissé tomber.

Il était réservé au conseil de la guerre de revenir à cet ordre divisionnaire adopté depuis longtemps déjà par la Prusse, et que des considérations de personnes, jointes à l’esprit de routine, si puissant, à toutes les époques, dans les bureaux, avaient pu seules écarter jusque-là. Dans le travail de révision de notre organisation militaire, aucun point n’était plus urgent ni de plus de conséquence ; de toutes les réformes entreprises à la veille da la révolution, aucune, si l’histoire était juste, n’eût mérité ne figurer en plus belle place, à côté des meilleurs et des plus utiles legs que l’ancien régime ait faits à ses successeurs.

  1. Susane. (Voir aussi Rousset.)
  2. Archives de la guerre. Projet de lettre de Saint-Germain.
  3. Ordonnance du 25 mars 1776.