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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

armées de la république, il m’a paru bon de faire en quelque sorte mon stage dans l’armée royale. Quelle était la valeur de cette armée? Quels en étaient les défauts? Tombait-elle en dissolution, comme beaucoup d’historiens l’ont prétendu? Avait-elle seulement besoin de quelques réformes pour redevenir aussi belle qu’elle avait jamais été? Est-ce à elle, à sa forte constitution, à la supériorité de ses cadres et de ses vieilles troupes, que revient l’honneur d’avoir fait reculer la première coalition? Et dans quelle mesure? Est-ce aux volontaires de 92? Graves et difficiles questions. Non pour la foule, qui les tranchera toujours dans le sens de ses préjugés et de ses instincts, mais pour les esprits habitués à ne se point contenter d’opinions brutales. À cette catégorie d’esprits, la vérité n’apparaît pas toujours tout d’une pièce : elle est faite de nuances et d’élémens très complexes, dont une investigation minutieuse peut seule établir le rapport et montrer la combinaison.

C’est à ce besoin que répondent les pages qui suivent. Sous une forme très sommaire, je me suis efforcé d’y présenter le tableau le plus fidèle possible de nos institutions militaires à la fin de l’ancien régime. Il m’a fallu pour cela prolonger un peu mon temps de service ; je comptais n’y rester que quelques mois, voici deux ans passés que j’y suis : un jour dans Auvergne ou Picardie, le lendemain simple milicien ; une autre fois dans les chasseurs des Vosges ou dans les hussards d’Esterhazy ; deux ans que je monte à l’assaut de Prague ou de Berg-op-Zoom ou que j’enlève les retranchemens de Raucoux ; que je pousse des charges et que je m’attèle à la bricole des vieux canons de Vallière : que je pleure de rage à Dettingen et à Rosbach, et de joie à Lawfeld et à Bergen ; que je m’exalte pour Gribeauval et que je me passionne pour Guibert. Je ne m’en plains pas ; car à cette longue communion de tout mon être avec l’ancien régime, sans compter la joie de vivre quelque temps d’une vie moins terne et moins plate que la nôtre et de changer de contemporains, j’aurai du moins gagné ceci de me sentir un peu plus Français qu’auparavant. Les démocrates ont beau dire, on n’aime vraiment son pays qu’à condition de l’aimer tout entier, sous tous les régimes et dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Le noviciat que je viens de faire m’a rendu ce service : j’avais gardé quelques préventions d’école contre la France de la fin du XVIIIe siècle ; elle m’apparaissait encore à travers les vertueuses indignations de mon professeur d’histoire, de Charlemagne, qui ne l’avait étudiée que dans Michelet et qui nous faisait encore la révolution, — Le pauvre homme! — D’après M. Ponsard.