Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avertissait discrètement son ministre, sans parvenir toutefois à le désabuser complètement. — « Rien n’est plus flatteur, écrivait-il, pour M. Van Hoey que les sentimens favorables dont Sa Majesté daigne l’honorer ; mais il est si cruellement discrédité dans ce pays-ci que des amis, s’il en conserve, tenteraient vainement de lui ménager la confiance de ses maîtres. Il a toujours eu raison dans le fond, mais il a constamment péché par la forme[1]. »

S’il était pourtant un lieu où il aurait fallu n’agir que par l’intermédiaire de gens avisés et ne faisant pas rire à leurs dépens, c’était à La Haye, où arrivait au même moment, chargé d’une mission mystérieuse, un connaisseur, très bon juge en fait de travers et de ridicule humain, et le dernier homme du monde à se payer de belles paroles. Ce n’était autre qu’un politique anglais qui a laissé un grand renom dans les lettres, le célèbre lord Chesterfield. On sait quelle place (assez semblable à celle de Mme de Sévigné parmi nous) tient dans la littérature anglaise ce grand seigneur devenu auteur classique, moins par le mérite de ses écrits proprement dits que par le goût délicat et par le tour exquis de son style épistolaire. Bien que l’insuffisance de ses talens oratoires ait toujours empêché Chesterfield de prétendre à figurer au premier rang sur la scène politique, il n’y jouait pas moins un rôle important. Il venait même de prendre une part active et presque décisive aux derniers conflits ministériels par un pamphlet dont tout le monde lui attribuait l’origine, et qui résumait, en termes mordans et sévères, les griefs de l’opinion britannique contre la politique de Carteret. La victoire remportée, on lui fit une part dans les dépouilles, en lui déférant (au grand déplaisir du roi, qui lui gardait rancune) la vice-royauté d’Irlande. Seulement, avant qu’il allât prendre possession de son gouvernement, il fut invité à remplir une mission diplomatique sur le continent. Il dut se rendre à La Haye pour exhorter les états-généraux à se montrer dans la campagne prochaine plus actifs et moins timides qu’ils n’avaient fait dans les années précédentes. Ses instructions lui prescrivaient de déterminer la république à augmenter son effectif militaire et naval et, par une déclaration de guerre officielle, à passer de l’état de simple auxiliaire à celui de partie belligérante et principale. Mais, derrière cette mission belliqueuse, le nom même et le caractère connu de l’envoyé faisaient supposer qu’une arrière-pensée pacifique était cachée. Chesterfield, en effet, avait fait de longs et fréquens séjours sur le

  1. Van Hoey à d’Argenson, 15 décembre 1744, 19 mars 1745. — La Ville à d’Argenson, 20 avril 1745 et suiv. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)