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de ce prince. » Comment, d’ailleurs, pourrait-il trahir, pensait d’Argenson, quand ses intérêts, la nécessité, la défaveur même dont il est l’objet, lui imposent l’obligation de rester uni avec la France ? — « Il se laisse emporter par le feu de son imagination et de ses inquiétudes, quand il autorise ses ministres à tâcher d’obtenir de toutes parts, sans la participation de ses alliés, quelque négociation qui puisse conduire à la paix ; mais comme toutes les cours paraissent se méfier de sa conduite et de ses principes, nous devons compter que son intérêt le ramènera toujours à être uni avec nous. Il ne faut donc jamais paraître douter de sa bonne foi et arborer, au contraire, un grand air de confiance. »

Quant à l’idée de profiter du discrédit momentané de Frédéric pour conclure, à son insu et à ses dépens, une paix plus avantageuse à la France, d’Argenson ne saurait la rejeter avec trop d’indignation. — « Il ne faut pas écouter ni même laisser parler sur ce sujet ; on me proposerait les Pays-Bas, s’écrie-t-il quelque part, que je croirais les payer trop cher à ce prix… Vous devez faire entendre clairement que Sa Majesté est bien résolue à ne point souffrir qu’on dépouille ce prince de ce qui lui a été cédé par son traité de Breslau, de juillet 1742, avec la reine de Hongrie, et que Sa Majesté céderait plutôt les plus chers intérêts de son royaume que de consentir à jamais permettre qu’on ôte à ce prince la Silésie et le comté de Glatz. Peu à peu, les hommes reviennent au vrai et à la raison, quand ils voient de grands obstacles à ce qui fait l’objet de leurs passions. Il faut donc espérer qu’avec un peu de temps les puissances intéressées à la paix reviendront de cette fureur aveugle contre le roi de Prusse. Plus elles se déclarent contre un prince qui a les mêmes ennemis que le roi, et qui ne se les est attirés que pour avoir embrassé conjointement avec lui la juste cause du feu empereur et de la maison de Bavière, et plus il est de la sagesse et de l’honneur de Sa Majesté de le soutenir avec toute l’ardeur la plus grande, et de s’y montrer aussi déterminée qu’elle a jamais pu le faire pour aucune autre vue d’état embrassée de sa part. C’est ce dont vous devez donner au roi de Prusse et à ses ministres, en toute occasion, les plus fortes assurances pour les convaincre qu’aucune raison ni considération ne pourra changer ni affaiblir les sentimens de Sa Majesté, et que nous sommes inattaquables sur toutes les mauvaises semences de soupçon qu’on nous jette de toutes parts pour nous diviser. »

Il faut se rappeler que c’était le moment même où Frédéric ne demandait que l’assurance d’un bon morceau pour se détacher de la France. D’Argenson dit à plusieurs reprises, dans ses mémoires, que sa maxime favorite était celle-ci : le roi de France aime mieux