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Dans de telles dispositions, la conduite d’Auguste aurait été concertée avec celle de Frédéric qu’elles n’auraient pas semblé plus exactement calquées l’une sur l’autre. Sans paraître ni séduit ni flatté, Auguste, d’un ton de désintéressement hautain, fit savoir que, bien que dépourvu lui-même de toute ambition personnelle et ne songeant qu’à finir en repos, en faisant le bonheur de ses sujets, il ne refuserait pas à se charger du fardeau écrasant de l’empire, s’il y était contraint par le vœu général et par le désir de servir à la paix commune. Mais il ne lui convenait de faire aucune démarche pour rechercher des suffrages, et celui du roi de Prusse moins que tout autre. Il avait contre son ancien allié trop de griefs légitimes pour que sa dignité lui permît de lui tendre le premier la main. Ses sujets, cruellement maltraités par la récente et brutale invasion de l’armée prussienne, ne lui pardonneraient pas d’oublier si vite la satisfaction due à leurs injures. C’était à la France, puisqu’elle avait la réconciliation à cœur, d’obtenir pour lui les réparations auxquelles il avait droit. On verrait ensuite à marcher d’accord. Dans une série d’entretiens répétés de jour en jour, et presque d’heure en heure, Valori ne put rien obtenir, ni du maître ni des serviteurs, que ces vagues protestations. La reine de Pologne seule paraissait par momens se laisser toucher par la pensée de porter elle-même la couronne qu’elle n’avait pu voir sans dépit sur la tête de sa sœur cadette de Bavière. Mais Brühl était d’une froideur dont rien ne pouvait rompre la glace, et Valori ayant essayé de le prendre par un genre d’argumens auxquels il passait pour n’être pas insensible : « N’essayez pas de me corrompre, s’écria-t-il avec indignation ; les bontés du roi, mon maître, ne me laissent rien à désirer. » Quant au père Guarini, il y alla plus franchement : « Le roi n’a rien à faire, dit-il, et pas à bouger, il n’y a d’autre empereur possible que lui : le grand-duc ne peut régner, car il n’est pas Allemand, il faudra donc bien qu’on vienne à nous[1]. »

Tant de raideur et de hauteur chez des gens ordinairement d’un naturel plus humble et moins inflexible étonnaient Valori, qui n’y voyait d’autre cause qu’un ressentiment aveugle contre le roi de Prusse et le désir de le perdre à tout prix. Les révélations de M. d’Arneth et les dépêches anglaises, qui (comme tout à l’heure

  1. Valori à d’Argenson, 17-26 février 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)— D’Arneth, t. IV, p. 30 et suiv. Cet historien croit que Brühl se montrait favorable à la candidature du roi de Pologne. Les dépêches françaises assurent le contraire. — Mémoires de Valori, t. I, p. 212 et suiv. Je ne sais pourquoi ce diplomate, dans ses mémoires, se montre beaucoup plus confiant que dans sa correspondance, dans la sincérité de Frédéric. « Ce prince, dit-il, voulait de bonne foi le roi de Pologne pour empereur. » Ses lettres n’expriment, au contraire, que la méfiance.