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la différence, — et elle était grande, — des deux hommes et des deux caractères) le prince saxon exactement dans les mêmes dispositions où il avait laissé le prussien. Là aussi l’offre de joindre la couronne impériale à celle de Pologne allait être non positivement repoussée, mais accueillie avec une bonne grâce apparente et du bout des lèvres, uniquement afin de s’en servir dans des intentions tout opposées à celle qui déterminait la France à la proposer.

Frédéric, en effet, connaissait (comme toujours) bien la nature humaine quand il affirmait qu’Auguste III nourrissait contre lui une de ces haines qui ne pardonnent pas. Il n’est rien dont un être à la foi peureux et vain garde un souvenir plus amer que des injures qu’il n’a pas eu le courage de venger et des faiblesses auxquelles il a eu la lâcheté de consentir. Depuis quatre années, Auguste, tour à tour ami ou ennemi de Frédéric, tantôt malmené par lui, tantôt trahi, toujours moqué, n’avait pas cessé d’être son jouet. Il vivait dans une terreur constante de ce voisin incommode, véritable monstre à ses yeux, fait de génie et d’astuce, et dont l’amitié lui paraissait plus à craindre encore que l’hostilité. C’était une vision qui l’obsédait : guerre ou paix, faire quoi que ce soit de concert avec un tel homme, c’était toujours se mettre dans ses mains, j’ai presque dit tomber dans ses griffes. Aussi, pour se garantir de ce redoutable contact, venait-il, le 3 janvier précèdent, quinze jours avant la mort de l’empereur, de conclure à Varsovie un traité secret avec l’Autriche, l’Angleterre et la Hollande, par lequel les quatre signataires s’engageaient à se préserver réciproquement de toute attaque ; et un subside de 500,000 écus était assuré annuellement par le trésor britannique pour le paiement des troupes saxonnes. À la vérité, c’était là un acte purement défensif, dont les ratifications mêmes n’étaient pas encore échangées, et qui ne stipulait rien en vue d’une éventualité qu’on n’avait pu prévoir. En se portant pour successeur de Charles VII, Auguste, à la rigueur, n’eût manqué à aucune parole. Mais il n’en eut pas moins offensé gravement une femme irritable et couru le risque de retourner contre lui la coalition même des états dont il venait d’invoquer le patronage. Que lui resterait-il alors ? Les promesses perfides de Frédéric et le mol appui de la France, qui ne passait pas en Allemagne pour soutenir très énergiquement ses alliée La seule pensée d’être réduit à une telle extrémité aurait fait frémir un cœur moins débile, et le fantôme de Charles VII, délaissé, bafoué, chassé de ses états, et finissant par mourir de misère et de terreur, était là devant tous les yeux comme un épouvantail fait pour détourner les ambitieux les plus téméraires de se lancer, à son exemple, dans une si périlleuse aventure.