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Valori à la cour de Dresde… Il m’a répété à plusieurs reprises : Si M. de Valori ne réussit pas, que ferons-nous ? .. Qui faire empereur ? .. Il ne m’a plus parlé de notre armée du Bas-Rhin, ni de celle de Bavière, ce qui, comme j’ai l’honneur de vous le dire, me donne beaucoup de défiance. Pendant que j’étais dans le cabinet du roi de Prusse, dit Courten en terminant, on lui a apporté un papier qu’il a décacheté avec une grande précipitation. Je l’examinai pendant qu’il en faisait la lecture. Il m’en paraissait extrêmement préoccupé et a relu plusieurs fois la même page avec émotion. Je n’ai pu savoir d’où venait ce paquet[1]. »

Nous en savons peut-être un peu plus que Courten, car ce n’est point s’aventurer de supposer que la lettre, décachetée d’une main nerveuse, venait de Londres ou de La Haye ; mais il paraît que la réponse si impatiemment attendue fut évasive et peu concluante, et que Frédéric eut beau la relire à plusieurs reprises, il ne se trouva pas assez édifié sur les intentions obscures et encore timides du nouveau cabinet anglais. Il restait donc dans un embarras dont deux jours après il faisait confidence à son ministre. « La poste de Hollande est arrivée, elle n’a rien apporté d’intéressant ; celle de dimanche prochain sera plus décisive sans doute ; j’ai presque dessein de me faire malade afin de gagner le jour de poste de dimanche, qui peut-être sera plus catégorique que celui-ci. Quel plan puis-je régler avec le chevalier de Courten ? Si nous en ajustons un et que les Anglais fassent ma paix, les Français diront que je les ai trompés ; si je n’en fais pas, ils diront que je négocie. Il faut se déterminer cependant, et je ne veux rien leur dire qui puisse m’attirer le reproche de les avoir trompés. Je ne veux pas non plus m’éloigner d’eux sans être sûr que ma partie est bien liée avec l’Angleterre. Le cas est embarrassant, le remède presse, il faut penser à s’en tirer. Si je me fais malade, j’évite toutes les perquisitions. » Il n’attendit pourtant pas jusqu’à ce dimanche suivant pour envoyer à Andrié un plein pouvoir en règle avec ordre de mettre le successeur de Carteret aux affaires étrangères, lord Harrington, au pied du mur. « Il m’est impossible, disait-il, de rester plus longtemps dans l’incertitude… Insistez auprès de ce ministre, avec toute la politesse imaginable, de finir le plus promptement qu’il est possible… Si c’est tout de bon du ministre anglais de m’avoir et de me détacher de la France, il faut qu’on se dépêche[2]. »

Valori, cependant, arrivait à Dresde pour y trouver (quelle que fût

  1. Courten à d’Argenson, 15 février 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Frédéric à Andrié, 19 février, à Podewils, 21 février 1745. — Pol. Corr., t. II, p. 55-58.