Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Paris, si le roi de Prusse me défend de parler de lui, à peine pourrai-je rompre la glace. » Le roi insistait pourtant et les ordres de Versailles étant positifs, il fallut bien se décider à se mettre en route ; mais auparavant Valori voulut être admis à une dernière entrevue afin de tâcher d’obtenir quelques paroles dont il pût se servir pour le succès de sa mission. Frédéric, qui était allé à Potsdam soigner une indisposition vraie ou fausse, ne se prêta qu’à regret à cette audience de congé. « Le voyage de Valori me convient beaucoup, écrivait-il à Podewils en fixant l’heure du rendez-vous ; mais il s’agit de ne pas me barbouiller trop profondément dans l’affaire du roi de Pologne, c’est-à-dire de me ménager des moyens honnêtes de m’en tirer, vu les négociations où nous sommes avec les Anglais et dont il y a grande apparence que nous nous en tirions à notre honneur… Arrivez avant Valori, afin que nous puissions bien peser les termes et employer toutes les chevilles dont une matière aussi délicate que celle-là est susceptible. »

Valori trouva, en effet, son royal interlocuteur tellement boutonné et redisant sur tant de tons qu’il ne voulait pas qu’on parût venir de sa part, qu’à la fin impatienté : « Eh bien ! sire, dit-il, si pour réussir il faut dire autant de mal de vous que j’en entendrai, je vous promets de ne pas m’en abstenir ! — Allez donc, reprit Frédéric, prenant la plaisanterie en bonne part, vous tenez la destinée de l’Europe dans vos mains, et si vous réussissez, je vous dresserai des autels. »

Si Frédéric, en poussant Valori dehors en quelque sorte par les épaules, avait espéré être délivré pour quelques jours au moins de toute conversation avec la France, il fut déçu, car, avant même que Valori eût quitté Berlin, un autre Français y arrivait. C’était l’officier supérieur dont il avait lui-même sollicité l’envoi avec instance, après l’arrestation de Belle-Isle, pour lui faire connaître, à la place du maréchal, les vues du gouvernement français au sujet de la campagne prochaine et établir un plan concerté d’opérations. Le chevalier de Courten (c’était son nom) était l’ami de Belle-Isle et, en cette qualité, il s’attendait à être mis tout de suite sur la sellette et pressé de révéler les desseins qu’avait dû lui confier l’illustre captif. Sa surprise fut grande de trouver, au contraire, que Frédéric évitait, éludait la conversation, ne se laissait entretenir qu’à bâtons rompus, « m’assommant de questions, dit Courten, et sans donner le temps d’y répondre… Le peu d’intérêt que ce monarque me paraît prendre à nos manœuvres, le peu de concert qu’il me paraît avoir envie d’y apporter, me fait craindre qu’il ne ménage quelque accommodement avec la cour de Vienne et qu’il n’attende pour se déterminer le succès de la négociation de M. de