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non-seulement qu’Auguste III se mît en avant, mais que sa candidature fût assez sérieuse pour inquiéter sa rivale et la disposer à faire quelques sacrifices en vue de l’écarter. C’était un objet d’échange qu’il était bon de préparer pour la négociation de la dernière heure[1].

Dans cette pensée, il se garda bien de faire à Valori une réponse trop décourageante ; il se montra même disposé d’assez bonne grâce à se mettre en campagne pour Auguste III : mais le prétendant acceptait-il lui-même la prétention ? C’est avant tout ce qu’il fallait savoir, et ce n’était pas lui, fit-il remarquer, qui pouvait se charger de s’en informer. Auguste III nourrissait, dit-il, contre lui un ressentiment qui allait jusqu’à la haine, et toute ouverture qui porterait l’étiquette prussienne paraîtrait un piège contre lequel, d’avance et sans rien écouter, toute la cour de Saxe se raidirait et se mettrait en garde. Que la France fît donc la première avance, qu’elle se mît elle-même en mesure de sonder les intentions et d’adoucir l’humeur de son candidat. Rien de mieux imaginé à ce point de vue que le voyage de Valori, et il y donnait les mains de grand cœur. Le ministre de France avait su, pendant les transactions de la guerre précédente, se rendre agréable au roi et surtout à la reine de Pologne. On ne saurait trouver de meilleur porteur de paroles ; « seulement, répéta Frédéric à plusieurs reprises, qu’on ne parle pas de moi, mon nom seul gâterait tout. »

Gagner du temps en éloignant Valori, c’était tout ce que Frédéric pouvait souhaiter. Rien ne pouvait donc mieux lui convenir qu’une mission qui, sans l’engager personnellement, lui laissait le loisir de voir venir la réponse de Londres. En attendant, il était charmé d’être délivré de la présence d’un observateur sagace dont la surveillance le gênait, qui connaissait toutes ses finesses et pouvait même au besoin se ménager des intelligences secrètes dans sa chancellerie[2].

Par le même motif, Valori était beaucoup moins pressé de partir que Frédéric de le mettre en voiture. « Je ne ferai rien, écrivait-il

  1. D’Argenson à Valori, 29 et 31 janvier 1745. — Valori à d’Argenson, 17 mars et 3 avril 1745. C’est dans ces deux dernières dépêches, postérieures de quelques semaines à la première mission de Valori, que cet envoyé rapporte les propos des ministres prussiens ; mais il les donne comme la suite et le résumé de plusieurs conversations antérieures. La pensée de Frédéric se trouve, d’ailleurs, dans une lettre de lui à Chambrier, 2 mars 1745. (Ministère des affaires étrangères.)
  2. Pol. Corr., 10 février 1745, t. IV, p. 41. — Mémoire intitulé : Réponse qu’on peut faire au marquis d’Argenson. — Valori à d’Argenson, 9 février 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Dans une lettre à ses ministres, Borck et Podewils (Pol. Corr., t. IV, p. 75), Frédéric dit expressément : « Je sais de science certaine que les Français ont eu notre chiffre et que Valori a des espions dans la chancellerie.