Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en rien à la défense de sa propre sécurité. Sous l’empire de cette préoccupation, disaient toujours les adversaires passionnés du cabinet, on avait négligé la suite si importante des opérations maritimes, mollement résisté à l’invasion française dans les Pays-Bas, laissé dépérir l’influence britannique à La Haye, en un mot affaibli l’action de l’Angleterre partout où sa propre cause était véritablement en jeu et sa supériorité facile à établir. Vraies ou fausses, ces imputations, dont l’éloquence passionnée du grand Pitt faisait retentir tous les échos de la tribune, avaient tellement ému le sentiment public que les collègues de Granville, les deux Pelham, qui, depuis longtemps, ne l’aimaient guère, durent décider le roi, bien malgré lui, à l’abandonner. Entrant alors en alliance avec leurs adversaires de la veille, ils formèrent un cabinet de coalition dont le programme fut de se retirer le plus et le plus tôt possible des complications d’outre-Rhin pour concentrer son action là où l’Angleterre avait véritablement intérêt à l’exercer. « La guerre, disait une lettre d’une personne bien informée du temps, devra être continuée, mais anglicisée. » Ces dispositions étaient assez connues pour qu’avant même la mort de l’empereur, Frédéric eût déjà essayé d’en profiter ; mais aujourd’hui, la vacance du trône lui offrant un moyen facile de dégager l’Angleterre de l’Allemagne pour la laisser en tête-à-tête avec la France, il pouvait raisonnablement se flatter de trouver à Londres des oreilles prêtes à l’écouter.

Le courrier, porteur de ses propositions, était donc déjà parti, et il en attendait le retour avec anxiété, quand Valori, cette fois muni d’instructions officielles, vint lui demander son concours pour appuyer l’élévation du roi de Pologne à la dignité impériale. L’invitation était faite avec instance, et Valori était même autorisé à offrir d’aller en personne porter à Dresde la proposition. On l’autorisait également d’avance à proposer à Auguste un large subside pour tenir lieu de ce qu’il perdrait sans doute en quittant l’alliance anglaise. Quand même Frédéric n’aurait pas déjà eu un autre dessein en tête, l’idée lui aurait paru médiocrement séduisante. Il avait très pauvre idée de son voisin de Saxe, et ne s’était pas gêné pour lui faire savoir son opinion, en décochant journellement contre lui ces traits sarcastiques dont il était prodigue, et qui allaient toujours blesser au point le plus sensible l’amour-propre de ses victimes. Entre le mépris affiché de l’un des princes et le ressentiment de l’autre, les relations de la Prusse et de la Saxe étaient arrivées à un degré d’aigreur qui se trahissait en toute occasion. Si les deux états n’étaient pas eu guerre ouverte, peu s’en fallait, puisque, en moins de six mois, les Prussiens avaient traversé la Saxe en armes sans en demander la permission, et qu’en retour les Saxons étaient venus en Bohême aider le prince Charles à chasser Frédéric ; mais