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ennemis. Je ne sais s’ils pensent ainsi, ou si la fureur du gain leur fera continuer le jeu… Si Votre Majesté le souhaite, je puis leur tâter le pouls et sans la commettre en rien. S’il y a apparence de calmer les esprits, j’emploierai tous mes efforts pour rétablir la paix et l’union. Je ne suis pas à même de pouvoir donner des avis à Votre Majesté, et la supériorité de ses lumières sont autant d’objets qui me réduisent au silence[1]. »

Cette défiance de ses propres lumières et cette confiance dans celles d’ autrui n’étant pas des traits habituels du caractère de Frédéric, Valori ne se crut pas obligé d’en être dupe, pas plus qu’il ne se sentit tenté de remettre à un intermédiaire si peu sûr le soin de tâter le pouls à l’Europe. « Le roi de Prusse, écrivit-il en rendant compte de la même conversation, me paraît prendre le même train qu’il a pris après la mort de Charles VII, c’est-à-dire qu’il va négocier pour son compte à peu près partout[2]. »

Valori ne voyait que trop juste, et les éditeurs des dépêches prussiennes prennent soin de nous l’apprendre. C’était bien, en effet, le vieux jeu qui recommençait, et que j’ai eu tant de fois l’occasion de signaler qu’il est presque monotone d’y revenir. Non-seulement au même moment, mais le même jour et à la même heure où Frédéric faisait humblement confidence à Louis XV de ses incertitudes en lui demandant de l’éclairer, il écrivait à ses deux représentans, à La Haye et à Londres, en les chargeant de sonder sur-le-champ les intentions des deux puissances maritimes, et il ne faisait pas difficulté de leur offrir son concours dans l’élection si inopinément ouverte, dussent même leurs préférences se porter sur l’époux de Marie-Thérèse, pourvu qu’on voulût bien lui tenir équitablement et même généreusement compte de ce sacrifice. — « Vous direz, écrivait-il à Andrié, son ministre en Angleterre, que je me prêterais avec plaisir aux idées que le ministre anglais pourrait avoir pour l’élection d’un nouveau (sic), empereur, et que, si nous étions une fois d’accord là-dessus, il ne serait pas difficile d’y faire entrer le reste du collège électoral ; .. que mon intention était sincère de tirer fidèlement la même corde avec l’Angleterre, dès que la paix serait rétablie entre moi et la reine de Hongrie… Vous pouvez même trancher le mot, et faire entendre que si on veut travailler en cette occasion pour les intérêts de la maison d’Autriche, comme cela paraît probable, il faudrait avoir soin de mes intérêts, pour me procurer un bon morceau pour m’indemniser pour le présent, et ajouter de fortes clauses d’une sûreté suffisante pour l’avenir. »

  1. Frédéric à Louis XV, 30 janvier, 6 février 1747. — Pol. Corr., t. IV, p. 34-35.
  2. Valori à d’Argenson, 31 Janvier 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)