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M. Zola : le futur créateur des Rougon-Macquart était alors soumis, sans doute, aux parties les plus romantiques du génie de Balzac. Quoi qu’il en soit, les scènes de ce prologue ont une carrure, elles sont juxtaposées avec une franchise qui impose le respect. Cette facture est un peu grossière, elle exprime la puissance : elle convient à M. Zola, qui ne se donne, que je sache, en aucun sens, pour un petit maître. Et ce qui est d’un maître, tout de bon, c’est la scène culminante de la pièce, au quatrième acte, c’est ce débat du mari et de la femme. Ici, l’auteur recueille le bénéfice dramatique de son étrange invention d’un mariage non consommé. Renée, depuis la veille, appartient à son beau-fils : si elle se livre à son époux, c’est là que va commencer l’inceste réel. Or justement, après dix années de lutte pour la conquête de Paris, il ne manque plus rien à Saccard, excepté sa femme. Elle seule, après que la fortune lui a cédé, lui résiste encore. Elle a méprisé d’abord cet aventurier, qui, pour un salaire, a couvert de son nom la violence d’un autre. Cette première mise de fonds, il l’a fait valoir avec intelligence, avec énergie, n’importe : elle se défend d’apercevoir ses mérites. Lui, cependant, ces dédains l’irritent, le piquent au cœur, et le voici dans la chambre de Renée. Il plaide avec éloquence la cause de son juste désir; il raconte sa vie et ses efforts, il en réclame le prix suprême : « La première heure de notre existence commune a été infâme, soit! Relevons la tête ensemble, et soyons heureux. » Elle est émue, la misérable, et son émotion même lui fait horreur; elle recule, et, d’un souffle strident, elle murmure : « Trop tard ! il est trop tard !.. » Mais ce que j’admire surtout, c’est la suite ou le mélange des sentimens de cet homme. L’occasion de sa visite, c’est un marché qu’il doit faire signer à sa femme : bien qu’amoureux, il demeure ambitieux d’argent; sous un prête-nom, il veut acheter à bas prix des biens dotaux qu’il revendra cher. Et puis il s’anime, il s’attendrit : « Ne signez pas ce papier, dit-il. — Pourquoi? — Parce qu’on vous vole ! » Il s’échauffe encore, il est repoussé ; alors, sa passion ayant échoué, sa cupidité reprend le dessus : il réclame la signature.

La matière morale d’une telle scène et sa conduite, le grand train dont elle est menée, font honneur à M. Zola. Toute une pièce de cette qualité, de cette allure, voilà ce que méritaient ces artistes : Mlle Brandès, qui prête à Renée ses nerfs et son âme; M. Raphaël Duflos, qui a composé le rôle de Saccard en comédien. Cette pièce digne de sa renommée, M. Zola l’écrira-t-il un jour? Oui, sans doute, celle-là et bien d’autres : il se le promet assez publiquement! Aux téméraires qui le malmènent, il ne jette pas seulement les noms d’imbécile et de menteur; se raidissant sous leurs critiques, il riposte encore par cette menace : « Vous ferez de moi un grand dramaturge, comme vous en avez fait déjà un grand romancier. » Amen !.. J’avais oui dire que la