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sens... Mais à la hauteur où les circonstances ont placé la Phèdre et l’Hippolyte tragiques, c’est-dire dans un monde où ni les désirs ne sont habitués à connaître d’entraves, ni les volontés à s’embarrasser des obstacles,.. tout est changé. » Aussi M. Zola n’a-t-il pas logé l’inceste en quelque arrière-boutique, mais dans le plus riche hôtel du parc Monceaux : à défaut d’un roi, d’une reine et d’un prince, personnages à présent presque fabuleux, il a pris un financier parvenu, — un des tyrans du jour, — sa femme et son fils; pas plus que chez les demi-dieux, dans ce monde-là, les passions ne sont habituées à se modérer ni à subir aucune gêne ; l’ivresse de la toute-puissance, le vertige moral, dans un pays où il n’y a plus de trône, où peuvent-ils s’expliquer mieux que sur une montagne d’or?

Enfin, cette question préalable se posait: conçue par un tel auteur, pour qui toute la personne humaine est soumise à la science et le libre arbitre n’est qu’un vieux mot, Phèdre serait-elle encore un personnage dramatique? Offrirait-elle encore l’émouvant spectacle d’une lutte de sentimens et pourrait-elle montrer, dans le crime, « une douleur vertueuse ? » Ou ne serait-elle pas plutôt une malade, qui roulerait sur une pente unie vers sa fin nécessaire? M. Zola, par bonheur, avait de quoi répondre à ces doutes : nous ne recevons pas de la nature et de nos parens les bons instincts ou les mauvais, mais les uns et les autres ; la bataille est la même entre ceux-ci et ceux-là que naguère entre la passion et la liberté. Admettez, pour simplifier les choses, que le père de l’héroïne soit parfaitement pur, et sa mère parfaitement impure : l’héritage de l’un et celui de l’autre, en son âme, se livreront de furieux combats. Qu’importe au spectateur que le dogme ait péri, si le drame est sauf?

Ainsi, non-seulement le dessein de M. Zola était louable, mais aucune des conditions essentielles pour le succès de son entreprise ne lui manquait. On entrevoit ici la tragédie moderne; elle n’est donc pas une chimère : si elle n’est pas faite, elle se fera.

Hélas! non, elle n’est pas faite!,. Mon premier reproche à cette œuvre-ci, à Renée, c’est que l’exécution en est trop naïve. M. Zola reprend, malgré les défenses qu’il a publiées jadis, les procédés les plus vieillis du répertoire. Écoutez sa Phèdre et son Hippolyte, au deuxième acte, admirez quels discours il leur souffle : est-il quelque part, chez Racine, d’aussi froides analyses de sentimens? Au troisième, l’entretien de Renée avec son père n’est qu’un monologue à peine déguisé : « Mon père, dit-elle, vous êtes ma conscience. » En effet, elle parle devant lui comme on se parle à soi-même dans un vestibule classique; et, si inquiétans que soient les propos de la jeune femme, ce père la laisse tout de suite après : il a fini son office de conscience. A la dernière scène, surprise par son mari, pressée entre cet homme