du commun peuple par la pratique assidue et pointilleuse d’un cérémonial qui règle toutes les circonstances de la vie, par la stricte observation de petites lois arbitrairement établies, auxquelles on se soumet religieusement comme un chrétien scrupuleux aux prescriptions de l’évangile. Celui qui les observe est un gentleman, celui qui les ignore ou les transgresse est un homme qui ne sait pas vivre. Il est permis d’avoir l’âme commune et de basses façons de penser, pourvu qu’on ait en toute occasion la contenance, le geste, la tenue, les manières prescrites. Le vulgaire ne saura jamais manger un œuf à la coque dans toutes les règles, et il suffit d’entrer dans sa maison pour s’assurer qu’il n’entend rien à la vie fashionable.
Nulle part le code des conventions sociales n’est à la fois plus tyrannique, plus compliqué et plus minutieux qu’en Angleterre, et M. Whitman maudit ces conventions : the cant in our manners. Il s’indigne que M. Smith, en parlant de sa femme, soit obligé de l’appeler Mrs. Smith. Il rappelle à ce sujet la sensation que produisit le prince royal d’Allemagne lorsque, visitant le Palais de cristal, il présenta M. Hallé à la princesse sa femme en l’appelant simplement sa femme. Il s’indigne que ce même M. Smith ne puisse se permettre de saluer dans la rue une dame de sa connaissance avant qu’elle lui ait fait la grâce de le saluer la première. Il s’indigne qu’on reconnaisse un Anglais qui a du monde et se respecte à sa façon tout arbitraire de prononcer certains noms propres et de transformer les Marjoribanks en Marchbanks, les Leveson Gower en Lewson Gore, les Menzies en Minnies. Il s’indigne surtout que le philistin anglais se fasse un devoir sacro-saint de se soumettre scrupuleusement aux caprices d’une mode déraisonnable et changeante, et du même coup se croie tenu d’être froid ou hautain envers ses subalternes et de témoigner de plats empressemens ou de basses soumissions à tel sot personnage qui est mieux né ou mieux renté que lui.
Les caractères nationaux sont infiniment complexes; ils offrent des contrastes et de singulières oppositions d’ombre et de lumière. Étudiez le génie d’un peuple, découvrez son défaut ou son vice dominant, et soyez sûrs qu’il possède la vertu contraire dans un degré qui ne se retrouve pas ailleurs. Cela se voit dans la littérature. Les Romains avaient le cœur dur: qui eut plus de tendresse que Virgile? Les Italiens sont volontiers prolixes: est-il un poète plus concis que Dante, un prosateur plus avare de ses mots que Machiavel? La France qui aime à rire, a produit Calvin, Pascal et M. Guizot. L’Angleterre, dont les préjugés sont invincibles, a enfanté le plus libre de tous les grands dramaturges. Il en va des mœurs comme de la littérature. L’Angleterre est le pays des hommes forts et des cols raides, des volontés fières et tenaces, des grands cœurs qui s’insurgent et qui, pour détruire l’abus ou l’iniquité qu’ils détestent, ne comptent que sur eux-mêmes et disent: