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Aussi sommes-nous minés par les maladies d’une façon déplorable. Notre pauvre bataillon, qui était de 760 hommes à notre départ d’Oran, se trouve réduit à 210; depuis que nous sommes ici, — il n’y a qu’un mois, — il est entré plus de 500 hommes à l’hôpital. Ma compagnie, qui était de 86 hommes le 26 juillet, lorsque nous sommes partis de Boufarik, est aujourd’hui de vingt-six grenadiers, trois caporaux et un sergent; plus de sergent-major, plus de fourrier, plus de tambour. Des compagnies de cent vingt hommes réduites à trente, c’est effrayant ! Ces malheureux sont frappés de la fièvre comme de la foudre ; ils tombent, et l’on n’a que le temps de les porter à l’hôpital. J’ai été détaché, le 6 de ce mois, avec cent et un hommes de mon bataillon au camp de Bouderba, le plus important de tout le Sahel, car il en est la clé. Mes cent et un hommes sont aujourd’hui réduits à cinquante-deux. On a réuni dans ce malheureux camp les débris d’un bataillon du 58e et un détachement de cent hommes du 48e. J’ai le commandement de tous ces corps, avec un personnel de sept officiers du 58e, — reste des cadres d’un bataillon, — deux officiers du 48e et un de chez nous. Cela me donne un effectif de 240 hommes avec deux pièces d’artillerie. Sur ces 240 hommes, il nous faut en fournir 100 chaque jour pour la garde de six postes, dont quatre redoutes avancées. Voyez ce qu’il reste pour faire des sorties, lorsque les Arabes s’approchent de trop près, ce qui arrive souvent ; c’est pourtant avec cette poignée d’hommes que je suis appelé à fermer l’entrée du Sahel aux bandes de sauvages qui essaient à chaque instant de traverser nos lignes. Dernièrement, le 12 août, ils ont fait, du côté de Koléa, un coup qui a dû leur donner bien de l’orgueil : un détachement composé de 40 chasseurs à cheval, de 15 indigènes et de 150 hommes du 3e léger, sorti, les uns disent pour relever un blockhaus, les autres disent pour pousser une reconnaissance, est tombé dans une embuscade et a perdu 103 hommes: 60 ont eu la tête coupée; le reste fut fait prisonnier. Un voltigeur qui avait été pris s’est échappé ; il a rejoint son corps et a raconté que le capitaine qui commandait l’infanterie avait été emmené avec un certain nombre d’hommes; l’officier de cavalerie a été tué. Sept ou huit cents cavaliers, soutenus par un bataillon de réguliers, les ont surpris et enveloppés tout d’un coup. Vous voyez comme les Arabes sont atterrés par les coups que nous leur portons! Leur violence et leur audace augmentent chaque jour. Mous ne sommes maîtres nulle part. Ils nous attaquent de tous les côtés : Miliana attaqué, Cherchel attaqué, nos convois attaqués, nos correspondances attaquées tous les jours. Le maréchal ne pourrait pas mettre 4,000 hommes sur pied; il y a en ce moment, dans la province d’Alger, plus de 6,000 malades. Moi, je vais toujours bien ; tout tombe autour de moi et je reste debout,