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bien ! il faut y rester pour y faire quelque chose ; jusqu’à présent, on n’a rien fait, absolument rien. Voulez-vous recommencer ces dix ans de sacrifices infructueux, ces expéditions qui n’aboutissent qu’à brûler des maisons et à envoyer bon nombre de soldats à l’hôpital? Vous ne pouvez continuer quelque chose d’aussi absurde. Messieurs, puisque vous êtes condamnés à rester en Afrique, il faut une grande invasion, qui ressemble à celles que faisaient les Francs, à celles que faisaient les Goths; sans cela vous n’arriverez à rien. » Serrant de plus près la question militaire, à propos des faits de guerre qui étaient en train de s’accomplir, il blâma l’occupation de Cherchel ; à Médéa, selon lui, ce n’était pas deux mille quatre cents hommes qu’il aurait fallu mettre, c’était huit mille hommes. « Il y a, dit-il encore, un système qu’il faut abandonner: c’est le système de la multiplication des postes retranchés. Je n’en connais pas de plus déplorable; il nous a fait un mal affreux. C’est le système de la mobilité qui doit soumettre l’Afrique. Il y a entre le système de l’occupation restreinte par les postes retranchés et celui de la mobilité toute la différence qu’il y a entre la portée du fusil et la portée des jambes. Les postes retranchés commandent seulement à la portée du fusil, tandis que la mobilité commande le pays à 25 ou 30 lieues. Il faut donc être avare de retranchemens et n’établir un poste que quand la nécessité en est dix fois démontrée.» Il était impossible de viser plus droit et plus juste : le coup devait atteindre le maréchal Valée en pleine poitrine.

Cependant le maréchal se complaisait dans l’excellence de sa méthode. « l’armée, écrivait-il au général Corbin, le 2 juillet, a besoin d’un repos honorablement gagné, et l’ennemi est suffisamment occupé à lécher ses plaies. Tous les renseignemens s’accordent à dire qu’il a fait des pertes extrêmement considérables. Il n’était pas accoutumé à deux mois de campagne consécutive au sein de ses provinces. Les Kabyles eux-mêmes, peu portés naturellement à prendre part aux affaires d’Abd-el-Kader, contraints de marcher et poussés par les troupes régulières, désirent vivement la fin d’un état de choses qui les ruine et les rend très malheureux. »

Les troupes ont besoin de repos, disait le maréchal ; mais ce repos, où le trouver? Était-ce dans ces postes multipliés dont la chaîne presque ininterrompue embrassait le Sahel ? Terrassés par la fièvre, les hommes y tombaient, suivant l’expression vulgaire, comme des mouches. En veut-on un exemple ? Voici ce qu’écrivait, le 28 août, un officier du 1er de ligne, le capitaine de Montagnac : « Dispersés dans six ou huit postes, nous occupons les endroits les plus malsains en ce moment ; ce sont les postes avancés qui bordent le Sahel du côté de la plaine, où l’on est sous l’influence des miasmes de cette infernale Métidja où personne ne peut vivre.