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onze blessés; mais Duvivier, mécontent de son inaction, réclamait ou des renforts qui le missent en état d’agir au dehors, ou sa mise en disponibilité. C’était encore un dilemme. Par un mélange d’autorité, de promesses et d’éloges, le commandant de Médéa se laissa persuader de patienter encore ; mais quelle dut être l’amertume de ses réflexions quand, le lendemain matin, il apprit par l’ordre du jour la fortune inouïe de Changarnier, son rival ! Un corps expéditionnaire était ainsi constitué : 350 zouaves, 900 hommes du 2e léger, 400 du 17e léger, 1,000 du 23e de ligne, 1,000 du 24e, 400 du 58e, 400 chasseurs d’Afrique, deux compagnies du génie, une batterie de montagne, soit 4,600 hommes; tout ce qu’il y avait de valide dans le rang, et le commandant de ce corps était Changarnier ! Tous les généraux, tous les colonels plus anciens que lui étaient retenus sous Médéa; seuls, les colonels Bedeau et Drolenvaux, moins anciens, étaient appelés à marcher sous ses ordres avec les lieutenans-colonels.

Le 22 juin, vingt minutes avant l’aube, la cavalerie, suivie de la moitié des bataillons, prit la direction du col de Mouzaïa; aussitôt les vedettes arabes coururent en donner avis à l’émir, qui, comme au 20 mai et comme au 15 juin, envoya toutes ses forces, réguliers et cavaliers, occuper les ravins autour des oliviers de Zeboudj-Âzara. Cependant, tandis que Changarnier longeait, avec une lenteur calculée, les pentes du Nador, derrière lui, le reste de ses bataillons, l’artillerie et le convoi gagnaient le plus de terrain possible sur le chemin de Miliana; puis, lorsqu’il jugea qu’ils avaient pris assez d’avance, il les rejoignit par une marche en diagonale avec l’avant-garde du matin, qui allait devenir l’arrière-garde du soir. C’était le pareil stratagème qui avait réussi deux fois au général Bugeaud avant la Sikak ; Abd-el-Kader s’y laissa prendre encore; quand il s’avisa de son erreur, il était trop tard et son infanterie trop loin. Changarnier lui avait habilement dérobé une marche. Au plus fort de la chaleur, les troupes se rafraîchirent à la charmante fontaine de Sidi-Ali-Tamjiret; dans la futaie qui l’entoure, on se montrait avec admiration trois arbres à la ramure si étendue que chacun d’eux pouvait abriter du soleil tout un bataillon sous son ombre. Le soir, à six heures, la colonne bivouaquait au bord du Chélif, au Souk-el-Arba des Djendel ; le lendemain matin, avant huit heures, elle s’arrêtait k l’entrée du vallon de Miliana. Les crêtes fortement occupées à droite et à gauche, le seuil du défilé gardé par le 24e et par l’artillerie, le convoi, précédé d’un bataillon, monta vers la ville; c’était un supplément de 60,000 rations qui allait entrer dans les magasins aux vivres et suffire, avec ce qu’ils devaient contenir encore, selon les calculs de l’intendance, aux besoins de la garnison jusqu’au 20 septembre. Pendant que le