Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait établies à droite du col, et dont le feu, peu efficace d’ailleurs, fut bientôt éteint par celui d’une batterie de campagne que le maréchal Valée, toujours artilleur de prédilection, se donna le plaisir de mettre en position lui-même. En tête de la colonne s’avançait le duc d’Orléans et, près de lui, à pied, le duc d’Aumale, qui avait donné son cheval au colonel Gueswiller, du 23e de ligne. Répercutées par les échos des montagnes, la canonnade et la fusillade roulaient avec des grondemens de tonnerre. Parfois, comme si le combat se rapprochait, le retentissement éclatait plus net et plus fort. Dans un de ces momens, le maréchal, silencieux, immobile, les mains croisées sur les fontes de la selle, crut entendre derrière lui ces deux mots chuchotes : « Nous reculons. — Non! dit-il, en se retournant, le front sévère ; non, c’est l’effet du vent. Silence ! » Tout à coup, le bruit lointain cessa, on n’entendait plus que les coups de feu les plus rapprochés ; que se passait-il donc au fond du champ de bataille? Pendant un quart d’heure, l’anxiété fut grande. Enfin, une sonnerie de clairon apportée par la brise de l’est fit tressaillir de joie tous les cœurs ; c’était la fanfare du 2e léger qui sonnait avec entrain la marche bien connue du régiment. « A ce moment, a dit le maréchal Valée, toutes les poitrines se dilatèrent, soulagées de l’oppression qui les accablait lorsque, ne voyant plus nos bataillons cachés dans les replis de la montagne, on n’entendait que le roulement de la fusillade arabe à laquelle pas un coup de fusil français ne répondait, roulement si formidable qu’on l’entendait même de Blida, à huit lieues de distance. »

Ce quart d’heure de silence et d’angoisse, c’était le temps que le 2e léger avait passé sous la brume du nuage protecteur. Quand il fut revenu à la lumière, ce fut pour recevoir à bout portant le feu d’un bataillon d’askers sorti de la redoute. Quarante hommes tombèrent, mais les autres, bondissant comme des fauves, rompirent le bataillon, en poursuivirent les débris et franchirent après eux le fossé de l’ouvrage. Le premier qu’on vit sur le parapet, le lieutenant Guyon, tomba mort; le duc d’Orléans l’avait décoré le matin même. Au plus haut sommet du Djebel-Enfous, le drapeau du 2e léger flotta déployé sur la redoute conquise, et les clairons à perte d’haleine sonnèrent la marche du régiment. C’était pour le maréchal et pour l’armée l’annonce de la victoire. Du point où l’avait porté son élan, le colonel Changarnier embrassait le panorama de la bataille ; à l’ouest, les restes du bataillon qu’il venait de défaire s’éloignaient avec un millier de Kabyles en suivant une arête qui devait aboutir au col ; à l’est, d’autres bandes descendaient vers la Chiffa ; au sud, une colonne, presque entièrement composée d’infanterie régulière, semblait se retirer vers Médéa.

Aussitôt que le 24e eut remplacé le 2e léger dans la redoute, le