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auprès du duc d’Orléans, un tambour des askers commença de battre aux sergens-majors : « Eh bien ! messieurs du 2e léger, dit en souriant le prince, est-ce que vous n’allez pas répondre? » Aussitôt le sergent-major de la compagnie la plus voisine, se faisant un porte-voix de ses deux mains, se mit à crier : « Minute ! minute ! colonel, on y va! » et le duc d’Orléans, et ses officiers, et tout le bataillon de partir d’un éclat de rire, et les hommes, mis par cette saillie en belle humeur, de marcher d’un pas plus allègre au combat. C’était à eux, placés en tête de la colonne, d’affronter les premiers coups.

Il était midi ; la première division s’était échelonnée sur la route du col pour céder le plateau à la seconde. Le 2e léger, suivi du 24e de ligne et du 41e commençait à gravir les pentes de gauche ; les zouaves attendaient que le mouvement fût assez prononcé pour s’ébranler à leur tour. Tout à coup, la fusillade éclata; ce n’était pas encore le feu des réguliers. Derrière chaque pointe de roc, chaque pierre éboulée, chaque touffe de broussailles, les Kabyles, embusqués avec intelligence, l’arme bien appuyée, tiraient comme à la cible sur le 2e léger qui ne répondait pas. Officiers et soldats avaient bien assez à faire de lutter avec les difficultés du terrain qu’il fallait d’abord vaincre. On y allait des pieds et des mains, grimpant à la paroi, s’accrochant aux saillies, aux branchages, les hommes, le fusil en bandoulière, s’aidant mutuellement, se faisant la courte échelle ; on ne s’arrêtait pas pour les blessés que les bataillons suivans devaient recueillir. A l’abri d’un saillant qui défilait à peu près ses hommes, le colonel Changarnier leur donna dix minutes pour reprendre haleine. Au-dessus s’étageaient trois retranchemens gardés par les réguliers. Le premier n’avait qu’un faible relief; il fut emporté sans trop de peine ; le profil du second était un peu plus marqué ; il fut emporté aussi, mais avec plus d’efforts. Reste à prendre, au sommet du grand pic, une grande redoute, clé de la position. Afin de réduire ses pertes autant que possible, le colonel en fait serrer la base et se dirige à gauche vers un ravin dont l’origine doit être apparemment au niveau de la redoute. À ce moment, un nuage entoure le régiment, arrête sa marche, mais le dérobe aussi aux coups de ses adversaires. « Semblables, a dit un des acteurs de cette grande scène, à ces héros de l’Iliade et de l’Enéide que des divinités enveloppaient de nuées pour les protéger, nous attendions, et les coups des réguliers, sans but précis, incertains, sifflaient sans nous atteindre au-dessus de nos têtes. »

Pendant ce temps, la deuxième colonne, partie plus tard, mais cheminant sur des pentes moins raides, avait gagné du terrain, tandis que la troisième, suivant lentement les lacets de la route, servait de point de mire à deux pièces de petit calibre qu’Abd-el-Kader