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émigrée après la révocation de l’édit de Nantes, passée au service de Naples, revenue au catholicisme. Un autre de nos compatriotes a pris ici l’habit de saint Benoît; ce jeune religieux m’a obligeamment servi de guide durant mon séjour. Il portait dans le siècle un nom connu chez nous, celui d’un prince de l’église qui suivit Charles X en exil ; Chateaubriand a gravé ce nom dans une page inoubliable des Mémoires d’outre-tombe.

Les élèves du collège se recrutent parmi les enfans des familles napolitaines. Aux heures où on leur donne la volée, les cloîtres déserts se réveillent, emplis de cris et de gaîté ; la bande joyeuse s’y répand, effarouchant les corbeaux qu’on nourrit sur le parvis, en souvenir des oiseaux familiers de saint Benoît. C’est le torrent de la vie qui remonte sur ces pierres moroses, rapportant son bruit et ses promesses, comme un défi à ces aînés qui n’espèrent plus rien d’elle. Les petits séminaristes ne sont pas moins turbulens ; pourtant ils portent déjà la soutane et le tricorne ; c’est étrange, ces garçonnets de douze ans qui rient à l’espoir de vivre, sous la livrée noire du renoncement.

Aujourd’hui, dimanche des Rameaux, d’autres hôtes viennent animer notre solitude. Dès l’aube, les paysans de la plaine sont montés en grand nombre, chargés de branches d’oliviers. Les femmes arborent le costume pittoresque de leur province, tabliers de drap bleu, rouge ou vert, corsages bas ourlés d’un galon d’or, grands mouchoirs de toile ou de dentelle rustique pliés en carrés sur la tête. Ces contadines s’accroupissent par petits groupes autour des piliers, sur les dalles de l’église. Par les portes toutes grandes ouvertes, la lumière de midi entre à flots; elle rejaillit sur les battans de bronze et sur les parois de marbre, elle promène ses jeux éclatans sur les nuances vives des jupes et des fazzoletti, tandis qu’arrive à nous, des fonds sombres du chœur, la psalmodie des religieux qui chantent le drame de la Passion.

Le soir venu, les gens du dehors sont redescendus dans la plaine, les dortoirs de l’aile orientale ont repris les enfans sous leurs voûtes sourdes, le silence rentre dans sa maison déserte. A peine si l’on entrevoit par instans, dans le lointain des cloîtres ou des longs corridors inondés par la clarté de la lune, quelques ombres rapides et muettes, des robes noires qui surgissent brusquement et s’évanouissent de même au fond de ces blanches perspectives.

J’observe avec intérêt mon entourage. Deux traits me frappent surtout. On s’imagine volontiers le moine, tristement occupé à attendre l’éternité, comme un homme d’allure oisive et de mine contemplative. Or les moines que je vois ici sont gais et actifs. Nulle inquiétude, nulle concentration sur leurs visages ; ils ont la paix souriante. Il