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Près du portail d’entrée, un escalier descend à de petites chambres, pratiquées dans l’épaisseur des soubassemens cyclopéens ; là se trouvaient, d’après la tradition, l’oratoire de saint Benoît et les cellules de ses premiers compagnons. On vient de restaurer ces chambres ; des bénédictins allemands les ont décorées de fresques d’un style singulier. Ils ont combiné les traditions d’Overbeck avec des réminiscences égyptiennes, des emprunts faits aux hypogées de Thèbes et de Memphis ; sous les frises de lotus, les personnages de l’hagiographie chrétienne sont emprisonnés dans les roides attitudes des Anubis ou des Ammon. L’idée n’est pas banale, l’exécution a de l’habileté.

Quinze profès et quelques frères convers habitent ce monastère, qui pourrait loger une armée. Démesurée pour leur petit nombre, la demeure le serait encore plus pour leurs modiques ressources, si le Mont-Cassin n’était aujourd’hui un monument de l’état. La sécularisation des biens monastiques a dépouillé la communauté de sa maison en même temps que de ses derniers domaines : les moines sont tolérés à titre de gardiens dans ce qui fut leur église, leur bibliothèque, leurs archives. Ce ne sont pas des moines fainéans, comme on va le voir. En plus des offices prescrits par la règle et des publications savantes qui sortent de leur imprimerie, ces quinze hommes ont sur les bras la direction d’un collège et d’un séminaire. Chacun de ces établissemens compte quatre-vingts élèves environ. Le gouvernement a confié à leurs soins l’observatoire météorologique installé sur ce sommet. Enfin, ils forment le chapitre de l’évêque-abbé et doivent vaquer aux affaires diocésaines. Par une anomalie peut-être unique aujourd’hui, les abbés du Mont-Cassin ont gardé tous les droits effectifs attachés à l’anneau; ils continuent d’administrer leur ancien diocèse, ils reçoivent de l’état la mense épiscopale, au même titre que leurs frères des sièges séculiers. Et la circonscription ecclésiastique du Mont-Cassin renferme 50,000 âmes, chiffre considérable pour l’Italie, où certains diocèses n’en comptent pas plus de 20,000; elle englobe des paroisses disséminées fort loin, jusqu’au fond des Calabres.

Hier, à la chute du jour, on a sonné la cloche, les religieux se sont précipités vers l’entrée pour recevoir leur père; le prélat revenait de San-Germano, où il descend le samedi pour donner audience à ses ouailles. Le successeur de tant d’abbés qui chevauchèrent sous la cuirasse était pacifiquement monté sur son âne ; deux moines, ses grands vicaires, le suivaient sur des montures pareilles. Le cortège et la réception qu’on lui fit avaient un air naïf d’autrefois. Par un singulier enchaînement de fortunes, Mgr d’Orgemont appartient à une famille de protestans français,