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C’est dans la nature même du génie allemand qu’il a trouvé la conciliation.


III.

Rien n’est plus malaisé, Herder l’avoue lui-même, que de donner la caractéristique générale d’un peuple, et de trouver une formule brève et saisissante pour le définir. Un grand peuple comprend des gens de toute nature, de toutes mœurs, de tout esprit. Et cependant Herder, avec son imagination vive et son goût pour les synthèses rapides et brillantes, se trouve amené insensiblement à se représenter les nations comme des individus. Chacune lui apparaît avec un tempérament propre et une physionomie originale, qui ne permettent pas de les confondre dans la famille humaine. Les mêmes sentimens et les mêmes passions forment le fond de toutes les littératures; mais chacune les exprime avec des nuances qui lui sont particulières, comme la même note, donnée par un violon, une flûte ou un cor, accuse une différence de timbre qui provient de la nature de l’instrument. Herder se croyait donc en droit de formuler, en quelques traits plus ou moins précis, le caractère et pour ainsi dire l’essence des peuples dont il étudiait la poésie et l’histoire. Le plus souvent, il se contente d’une esquisse sommaire. Quelques épithètes, toujours les mêmes, lui suffisent pour caractériser un peuple au passage. Il dira volontiers des Français que c’est un peuple de «représentation. » Leur esprit est plus théâtral que sincère, plus porté à la rhétorique que puissant par l’imagination, plus habile dans la convention qu’amoureux de la nature; il a plus de surface que de profondeur. Pas n’est besoin de s’arrêter à ces esquisses vagues, nécessairement fausses par ce qu’elles ne disent pas, même s’il faut reconnaître quelque vérité à ce qu’elles disent. Herder juge la France d’après son théâtre, et son théâtre, sans doute, d’après Lessing.

Mais dès qu’il s’agit de l’Allemagne, Herder est infiniment plus intéressant. Saisir le vif du génie allemand dans sa langue, dans sa poésie, dans son histoire, dans son art, ce fut la préoccupation constante de cet esprit si mobile et si prompt à changer d’objet. Il y est revenu non pas dix fois, mais cent fois, c’est une œuvre de patience et de précision ; les contours sont nets et précis, le portrait achevé. Aussi bien Herder est loin d’avoir dessiné le premier ce type idéal du caractère et de l’esprit allemands. Déjà dans Leibniz, dans Luther, dans Lessing, nous en trouvons l’esquisse, et, en cherchant bien, on en découvrirait les traits essentiels chez les humanistes