à la façon des Romains, disait-il, que Dieu nous en préserve! » Il goûtait fort peu les poésies soi-disant patriotiques où Klopstock célébrait les défaites des légions et la victoire d’Arminius. Cet enthousiasme archéologique lui paraissait assez ridicule. Il trouvait inutile de remuer ces cendres éteintes depuis tant de siècles et de s’échauffer à froid pour une patrie en l’air. Et, d’ailleurs, à quoi bon ces efforts pour réveiller des sentimens qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être les nôtres ? Le patriotisme se comprenait à certaines époques, dans des circonstances politiques déterminées ; ces conditions n’existent plus aujourd’hui, et nous n’avons aucun intérêt à les voir reparaître. Goethe demeura toute sa vie dans cette disposition d’esprit; même les événemens de 1806 et de 1813 n’eurent pas le pouvoir de l’en faire changer. Beaucoup de ses compatriotes ne le lui pardonnèrent pas. Ils prenaient pour du dédain et de l’indifférence à l’égard de l’Allemagne ce qui n’était, en effet, qu’un attachement fidèle aux convictions de sa jeunesse. Mais Schiller, l’écrivain favori des patriotes allemands, le poète de la liberté, Schiller ne tenait pas un autre langage. Il écrivait en 1789 à son ami Koerner : « Nous autres modernes, nous avons par devers nous un intérêt que les Grecs et les Romains n’ont pas connu, et qui laisse loin derrière lui l’intérêt patriotique. Celui-ci n’a d’importance que pour les nations qui ne sont pas encore mûres, pour la jeunesse du monde. C’est un bien pauvre idéal que d’écrire pour une seule nation... Un esprit philosophe ne peut s’intéresser particulièrement à une nation que si elle lui apparaît comme la condition du progrès de l’humanité entière. » Telle fut, par exemple, la France pendant les premiers temps de la révolution. Marchant à l’avant-garde de l’humanité, elle devenait par là même la véritable patrie de tous les esprits éclairés, qu’ils fussent nés d’un côté du Rhin ou de l’autre. En 1804, Fichte distinguait encore les « fils de la terre » pour qui la patrie consiste dans les champs, les fleuves et les bois, et les esprits libres, « parens du soleil, » qui vont vers la lumière et dont la véritable patrie est l’état qui réalise le mieux l’idéal du philosophe. Bien longtemps auparavant, Lessing avait écrit qu’il ne se doutait pas de ce que le patriotisme pouvait être ; tout au plus se le représentait-il comme une « faiblesse héroïque, » — sans doute une sorte de sentiment de tragédie.
D’où vient que les esprits les plus divers s’accordent ainsi à rejeter le patriotisme dans l’antiquité classique, et ne veulent en entendre parler que pour les héros de Plutarque et de Tite-Live? L’état politique de l’Allemagne au XVIIIe siècle rend compte du fait dans une certaine mesure. Le saint-empire romain germanique n’existait plus guère que de nom ; à vrai dire, il n’y avait pas d’Allemagne, mais seulement des états allemands, de toute grandeur,