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territoire fussent différentes de celles qui m’ont été indiquées par M. le ministre de la guerre. Si vous approuvez mon traité, je demande à rester un mois ou deux pour poser les bases de notre établissement dans la zone réservée; si vous ne l’approuvez pas, je demande encore à rester pour faire la campagne de juillet, août et septembre. Si, par malheur, il y a guerre à faire, il serait honteux pour moi de rentrer en France avant d’avoir prouvé, une fois de plus, que je suis loin de la redouter. »

Au fond, le général Bugeaud était mal satisfait de son œuvre, et c’est parce qu’elle ne lui plaisait pas qu’il avait brusqué le dénoûment pour en finir. Au gré de cet esprit absolu, il n’y avait que deux solutions au problème algérien : la conquête totale ou l’abandon total. L’occupation restreinte, ce système bâtard, l’intercalation d’un royaume arabe entre deux ou trois morceaux de terre française, cette transaction équivoque, tout cela répugnait à sa rude logique ; et cependant il venait de travailler, lui guerrier, à cette pacification boiteuse. Quelques jours plus tard, il écrivait à un ami : « Vous vous attendiez à des bulletins de guerre, et moi aussi, bien que mes proclamations appelassent la paix ou la guerre. Après bien des difficultés, bien des contrariétés, la paix a prévalu. J’ai eu surtout à lutter contre moi. Il m’en a beaucoup coûté de tout terminer et de remettre l’épée au fourreau sans combattre, lorsque le zèle et la confiance de ma division me promettaient des combats brillans. » Comment donc avait-il accepté une tâche si contraire à son génie? Par dévoûment au roi qui lui avait demandé ce sacrifice.

Aussitôt le traité conclu, il réunit les généraux et chefs de corps et leur en communiqua le texte ; tous y donnèrent leur assentiment. « La paix est faite depuis trois jours, sauf ratification du roi, écrivait, le 3 juin, le lieutenant-colonel de Maussion; comme elle est bonne et honorable, je ne doute pas qu’elle ne soit approuvée. » Une remarque importante à faire, c’est qu’en Algérie ce traité de la Tafna, qui allait soulever en France tant de contradictions, fut accueilli avec faveur. Les troupes étaient lasses d’une guerre qui n’était pas la vraie guerre, lasses de tant de courses incessantes et inutiles, de tant de ravitaillemens à faire et à refaire ; la population civile soupirait après la tranquillité qui permettrait aux commerçans de trafiquer avec les indigènes, aux rares colons sérieux de cultiver leurs terres. Voilà pourquoi ce traité de la Tafna, plus onéreux, plus dangereux que le traité Desmichels, dont il n’était qu’une édition revue et augmentée au grand profit d’Abd-el-Kader, fut reçu d’abord en Algérie non comme une œuvre parfaite, mais comme un accommodement utile et raisonnable.

Le général Bugeaud avait le vif désir de connaître Abd-el-Kader; il lui fit proposer une entrevue à distance égale des deux camps: