qu’elles se combattent. Ces périodes ne sont pas les moins intéressantes pour l’historien ; il y trouve l’origine des grands mouvemens sociaux, politiques et religieux qui plus tard bouleversent et réorganisent les états.
A la fin du XVIIIe siècle, l’Allemagne se trouvait à un de ces momens qui précèdent les grandes crises : on en peut juger non par la vie politique, que les circonstances paralysaient presque partout, mais par le caractère de la littérature, où se manifestaient les forces vives de la nation. Le travail obscur qui s’accomplissait en elle s’éclaire à la lumière des grands événemens qui ont changé depuis la face de l’Europe ; mais, de leur côté, ces événemens demandent, pour être bien compris, une étude approfondie de cette époque. Veut-on se rendre un compte exact de l’évolution de l’Allemagne dans notre siècle, il faut savoir de quelles idées, de quels sentimens vivaient les Allemands de la génération de Goethe et de Herder, comment ils concevaient leur patrie et son rôle dans l’humanité. Là est l’intérêt historique de la biographie de Herder que M. Havm vient d’achever. Auteur de travaux estimés sur Guillaume de Humboldt, sur l’école romantique, sur Hegel et son temps, M. Haym possède à fond l’histoire littéraire de cette période en Allemagne. Sa biographie de Herder est une œuvre définitive, complète, on serait tenté d’ajouter : trop complète. « Les arbres empêchent de voir la forêt, » dit un proverbe allemand. La forêt de M. Haym est terriblement touffue. Reconnaissons, pour être juste, qu’il y fait clair cependant et que des sentiers y sont tracés. L’auteur suit l’ordre chronologique, naturellement indiqué pour une biographie, et l’histoire des grands ouvrages de Herder s’y mêle sans confusion aux plus petits détails de sa vie intime. Nous ne suivrons pas M. Haym partout où Herder l’entraîne. Philosophie, esthétique, histoire, théologie, critique littéraire, Herder a touché à tout, il a écrit sur tout. Il a semé en Allemagne nombre d’idées nouvelles, ou du moins éveillé nombre de tendances latentes ; il a été, selon la très heureuse expression de Gervinus, un véritable ferment pour son temps. Nous nous attacherons seulement à ses idées politiques, souvent vagues, parfois contradictoires en apparence, et pourtant destinées à une fortune singulière, qu’il était lui-même loin de prévoir. Nous trouverons en lui un cosmopolite pénétré des idées humanitaires du XVIIIe siècle, et un patriote qui se réclame déjà du principe des nationalités, si gros de discussions et de guerres pour notre temps. Herder se trouve ainsi au point de jonction des deux siècles. Il appartient au XVIIIe par son éducation et par les principes qu’il professe : mais ceux qui ont lutté au XIXe pour la patrie allemande doivent reconnaître en lui un précurseur ; son œuvre conspirait d’avance avec eux.