Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins résignés, moins philosophes. Là-haut, dans le ciel, ils décrivent des spirales pour suivre leur proie, qu’ils comptent reconquérir.

J’examine enfin le lac ; son aspect n’est pas de nature à égayer mes idées. Des palmiers l’enserrent, et leurs masses grises, en se reflétant à sa surface, la font paraître noire. Aucune plante ne montre sa verdure sur le sable, aucune herbe marine ne flotte sur l’eau polie, que ne raient les pattes d’aucun insecte, qui, je m’en aperçois après y avoir plongé ma main et l’avoir portée à mes lèvres, a la lourdeur et la saveur de l’eau de mer.

Au loin, j’aperçois une cabane, et je me dirige de ce côté. Vu de près, l’abri est une simple claie de feuilles de palmiers posée sur quatre pieux. De ce toit rustique, sous lequel je ne puis pénétrer qu’en baissant la tête, pendent oubliées, ou tenues en réserve, quelques lanières de viande sèche. Sur la rive, dont je suis éloigné d’une quarantaine de pas, est attachée une minuscule pirogue.

Cette vue me tente ; je me place dans la vacillante embarcation, que je pousse au large. L’eau, couleur de plomb lorsqu’elle est vue du rivage, est en réalité transparente. Est-ce au sol? est-ce à quelque communication souterraine avec la mer qu’elle doit son goût saumâtre? A quel genre de poissons sert-elle d’asile? J’avance, et je navigue bientôt de conserve avec des caïmans. Ils nagent à fleur d’eau, plongent, puis, est-ce une tactique? est-ce un jeu? ils passent et repassent sous ma coquille de noix, qu’ils feraient chavirer rien qu’en la frôlant. Je songe que le pacte de paix qui a pu exister entre leur race et la mienne est depuis longtemps rompu, et je regagne mon point de départ.

Je trouve mon guide nettoyant le sol de l’abri.

— Partons, lui dis-je.

Il me montre l’orient et répond :

— Il sera nuit avant une heure, señor, et il nous en faut deux pour sortir des palmiers; ne vaut-il pas mieux camper ici qu’en pleine forêt?

Je lève mes regards vers le ciel. Oui, la nuit s’annonce, et mieux vaut camper que s’exposer à... Pauvre jeune femme! la faim est bien pour quelque chose dans sa mort prématurée, et, selon la coutume indienne, reste des superstitions d’autrefois, des mets choisis seront bientôt amoncelés autour de sa couche funèbre! Elle est morte de faim, et, le front ceint d’une couronne de fleurs, de fleurs de soucis, elle va, rigide, froide, présider un joyeux banquet.

J’aide mon compagnon à parfaire une provision de feuilles, destinées à l’alimentation du foyer nocturne qui doit, au besoin, nous protéger contre les fauves. Cette tâche accomplie, ce n’est pas sans