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croisons un sentier que connaissent, me dit-on, tous les habitans du village, et qu’a dû suivre un moment l’égarée. Une trace enfin, un semblant d’empreinte, puis une fleur flétrie; nous avançons alors plus vite. Peu à peu, il me semble que là-bas, en avant, l’obscurité de la forêt se montre moins dense. Oui, du jour, du soleil ! Je crois que nous allons déboucher sur le bord du Salado, et je me trouve brusquement sur une plage de sable fin, devant un lac.

Vers la gauche, à 200 mètres de distance environ, trois vautours, sinistres indicateurs, planent au-dessus des palmiers. Nous rentrons aussitôt dans la forêt, et nous nous dirigeons au pas de course vers le point signalé. Nous effarouchons plusieurs rapaces, qui, à grand bruit d’ailes et de feuilles froissées, vont rejoindre ceux de leurs compagnons qui planent. J’arrive un des premiers près de leur proie, près de la petite Indienne. Elle est couchée sur le côté, les bras étendus, ses grands yeux noirs démesurément ouverts. Oh! ce geste, ce visage crispé, ce regard où la terreur a laissé... Non, je ne décrirai pas ce spectacle de mort, si vivant dans mon esprit.

La douleur des Indiens est silencieuse; ils ne savent ni gémir ni pleurer. Tous ceux qui m’entourent se taisent, consternés. Nul commentaire, nulle question ; l’irréparable dénoûment, mieux que des paroles, raconte le drame qui s’est accompli. Le mari de la victime, — Elle avait seize ans et il en a dix-huit, — s’est assis près d’elle, a pris une de ses mains. Morne statue de la désolation, il ne regarde pas sa compagne, il regarde la terre molle, que l’un de ses doigts creuse machinalement. où lui tend une gourde, il la repousse. On lui parle, il n’entend pas. Comme elles sont poignantes, les douleurs sans larmes! comme elles vous émeuvent, les douleurs muettes !

Sur un ordre donné à voix basse par le régidor, le pauvre corps mutilé, dont une fleur encore fraîche d’orchidée pare les cheveux, est roulé dans une couverture, ficelé. L’alcade nomme à haute voix le mari; il se lève docile. C’est lui qui, le premier, doit porter la sanglante dépouille. On l’a lui place sur le dos, il l’assujettit à l’aide d’une courroie qui s’appuie sur son front et se met aussitôt en marche. On me remercie de mon aide, on m’invite à la veillée qui va précéder l’inhumation de la jeune femme. Connaissant ces tristes scènes, que déshonore invariablement l’ivresse, je prétexte, pour ne blesser personne par mon refus, un rendez-vous à Cosamaloapam. Je suis bientôt seul avec José, et, pas à pas, nous regagnons le lac. Il est un peu contrit, mon brave guide, de ne pas assister à la veillée à laquelle, lui aussi, il a été convié, mais il n’en témoigne aucune mauvaise humeur. Déçus de leur côté, les vautours se montrent