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vaste étendue de terrain. Nous examinons au passage le pied de chaque arbre. De temps à autre, l’un de nous entoure sa bouche de ses mains, pousse un cri prolongé qui s’éteint, hélas! sans réveiller aucun écho.

Nos fusils sont armés; un fauve, fuyant la battue, peut croiser notre route. Par intervalles, les instrumens, sur la nature desquels nous ne pouvons plus nous méprendre, cessent de résonner. Évidemment les chercheurs écoutent, et nous écoutons de notre côté. Le bruit éclate de nouveau, et ces sons forains me sont douloureux. les contrastes ! Quelqu’un se meurt, je sais de quelle épouvantable mort, et devant mes yeux humides passent et repassent, évoquées par le clairon, l’image d’un homme en maillot pailleté d’or, celle d’un pitre se bourrant d’étoupes enflammées. Souvenirs d’enfance, souvenirs de la patrie lointaine, que je chasse avec persistance, et qui, à cette heure néfaste, reviennent obstinés.

Tout à coup, j’aperçois un Indien; il m’a vu de son côté et fait entendre un cri particulier que des voix espacées répètent : tambour et clairon se taisent aussitôt. En moins de cinq minutes, nous sommes, José et moi, entourés d’une vingtaine d’habitans d’Acoula. Les questions sont pressées de part et d’autre, les réponses brèves. José ne s’est pas trompé ; ceux qui nous parlent sont à la recherche non d’un homme, mais d’une jeune femme de leur village. Partie l’avant-veille pour aller vendre des fruits à Cosamaloapam, elle a dû, au retour, être surprise par la nuit. Est-elle égarée? A-t-elle été la victime d’un tigre noir signalé dans la contrée? Depuis deux jours on cherche.

Ces détails nous sont donnés par le régidor d’Acoula, tandis que le mari de la pauvre égarée l’écoute. L’infortuné nous interroge ensuite; nous ne pouvons, hélas! rien lui apprendre. Le tambour résonne, le clairon lance un son aigre, les Indiens s’espacent et nous prenons rang dans leur vaste ligne. Chacun doit mesurer ses pas sur ceux de son voisin de droite, ne jamais le perdre de vue, répondre à son cri de ralliement. Après chaque roulement du tambour, après chaque sonnerie du clairon, un arrêt pour écouter. Pour écouter le silence morne que nous seuls troublons par notre bruit, ou, de loin en loin, le sifflement des ailes d’un rapace, qui, posé au sommet de l’un des arbres près desquels nous passons, fuit, effrayé, jusque dans les hauteurs du ciel.

Un appel nous rassemble; le vieillard qui dirige les recherches élève au-dessus de sa tête les débris d’un épi de maïs. Chacun veut examiner, palper l’inerte objet, puis le sol sur lequel il gisait est scrupuleusement examiné, étudié. Ni l’épi ni le sol n’ont rien révélé ; néanmoins, la direction de la marche est changée. Nous