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pour l’aborder. Je ne fais d’exception que pour les loups de savanes et les renards, qui, nomades, ont forcément rencontré des chasseurs dans leurs voyages, appris d’eux la méfiance, peut-être aussi la félonie.

Comment, sur la terre découverte par Colomb, — je restreins mon observation à ce que j’ai vu, — Expliquer l’allure amicale des animaux dits sauvages en face de l’homme ? Est-ce confiance dans leurs armes naturelles, dans leur force ? Leur instinct leur révèle-t-il que, dans une lutte corps à corps, le triomphe leur est assuré, ou un pacte de paix a-t-il véritablement existé autrefois entre tous les êtres de la création ? Serait-ce en réalité pour attaquer, non pour se défendre, ainsi que l’affirment les anthropologistes, que nos ancêtres ont inventé la lance, la fronde, la flèche, aujourd’hui résumées dans le fusil ? Si l’on considère…

Un grondement prolongé interrompt mes réflexions. Je me penche en avant, j’incline la tête, je retiens ma respiration. Prévenu par ses sens subtils qu’un bruit insolite s’est fait entendre, mon Indien se réveille, se met debout, nos regards se croisent, interrogateurs. Nous nous taisons ; c’est là une preuve que, pas plus l’un que l’autre, nous ne pouvons expliquer la nature du bruit que nous entendons. Toute l’attention de mon compagnon se porte vers la droite, tandis que la mienne se concentre vers la gauche ; lequel de nous a raison ?

La rumeur, qui semblait d’abord augmenter d’intensité, s’affaiblit, devient à peine sensible, s’éteint. Nous sommes-nous trompés ? nos oreilles ont-elles bourdonné ? Plusieurs minutes s’écoulent ; au moment où je me dispose à parler, le bruit renaît.

— Un orage, dis-je, en songeant au vacarme que produisent les feuilles de palmiers lorsqu’elles sont remuées par le vent.

José, — mon Indien, — secoue négativement la tête, écoute de nouveau. Je suis son exemple, et, si je n’étais au désert, j’affirmerais qu’un tambour résonne là-bas, bien loin, et qu’à son roulement se mêlent de temps à autre, comme dans les fêtes foraines, les sous aigus d’un clairon. Cette idée, absurde dans le milieu où je me trouve, je la repousse au moment où José, me montrant le sud, s’écrie comme s’il lisait dans ma pensée :

— Tambour et clairon, señor !

Il ajoute aussitôt :

— Un homme est perdu dans la forêt, et les gens d’Acoula sont à sa recherche.

Un homme perdu dans la forêt ! ces mots m’ont fait frissonner, en réveillant dans mon esprit de terribles souvenirs, fin un instant nous sommes équipés, en marche dans la direction du bruit qui,