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Lamentable encore est le désordre de cette église. « Depuis soixante ou soixante-dix ans, écrit Boniface, la religion ecclésiastique y est foulée aux pieds ; les offices sont livrés à des laïques avides de posséder des biens ou bien à des clercs adultères, scortataires et publicains. On y voit des jeunes gens grandir au milieu des débauches, obtenir le diaconat, et, bien qu’ils aient dans leur lit, la nuit, quatre ou cinq concubines, faire office de diacres et lire l’évangile. Tous ces incestes ne les empêchent pas d’arriver à la prêtrise ; à la fin, ajoutant les péchés aux péchés, mais montant de grade en grade, ils deviennent évêques ; et ceux de ces évêques qui se vantent de n’être pas des adultères et des fornicateurs sont des ivrognes, des chasseurs, des soldats qui versent le sang des chrétiens aussi bien que des païens. Deux hommes surtout sont des auteurs de scandales, « deux hérétiques détestables et publics, blasphémateurs contre Dieu et contre la foi catholique. » L’un, Aldebert, rapporte qu’un ange de Dieu est venu, des extrémités du monde, lui apporter des reliques qui lui donnent pouvoir de tout faire. Pénétrant dans les maisons, il a séduit des hommes et des femmes qui le suivent en foule, disant qu’il est un apôtre ; il a corrompu des évêques ignorans qui l’ont ordonné évêque : il dédaigne de consacrer des églises en l’honneur des apôtres et des martyrs. Il demande ce que prétendent les hommes qui s’en vont visiter à Rome le seuil des apôtres. Il a consacré des chapelles en son propre nom ; il a planté des croix et bâti des oratoires dans les champs, au bord des fontaines, et commandé qu’on y fît des prières, et des multitudes de peuples sont venues à ces assemblées, méprisant les autres évêques et les anciennes églises, et disant : « Les mérites de saint Aldebert nous seront en aide. » Il donne ses ongles et ses cheveux pour qu’ils soient honorés et portés avec les reliques des saints apôtres ; enfin, ce qui est le plus grand des blasphèmes, comme le peuple, prosterné devant lui, voulait un jour confesser ses péchés : « Je sais tous vos péchés, dit-il, il est inutile de les confesser. Vos péchés vous sont remis. Allez en paix. » L’autre hérétique, Clément, rejette les canons des églises du Christ, les traités des saints pères Jérôme, Augustin et Grégoire, et les lois des conciles ; bien qu’il ait eu deux fils nés dans l’adultère, il se prétend évêque ; il veut qu’il soit permis à un chrétien d’épouser la veuve de son frère ; il soutient que lorsque Jésus-Christ est descendu aux enfers, il a libéré de la prison infernale tous ceux qu’elle renfermait, crédules et incrédules, laudateurs de Dieu et adorateurs des idoles ! »

Ici encore, Boniface n’exagère-t-il point le mal qu’il a sous les yeux ? Certes il y avait de grands désordres dans l’église franque,