Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
890
REVUE DES DEUX MONDES.


dent les ministères sacrés. Ce sont des nomades, des adultères, des homicides, des efféminés, des sacrilèges, des hypocrites ; parmi eux, nombre d’esclaves, qui ont pris la tonsure pour échapper à leurs maîtres. Ces serviteurs du diable se déguisent en serviteurs du Christ. Ils vivent sans évêque, à leur guise ; contre les évêques qui voudraient réformer leurs mœurs scélérates, ils ont des défenseurs parmi le peuple, qu’ils réunissent dans des endroits écartés, car ils accomplissent leur ministère, non pas dans une église catholique, mais dans les champs, dans les cabanes des paysans, pour que leur stupide ignorance échappe aux évêques. Ils ne prêchent pas la foi catholique, car ils n’ont pas la vraie foi ; ils n’enseignent pas les paroles consacrées que doit comprendre tout catéchumène arrivé à l’âge de discernement ; ils ne demandent pas à ceux qu’ils doivent baptiser de renoncer à Satan ; ils ne les munissent pas du signe de la croix du Christ qu’il faut faire avant le baptême ; ils ne les instruisent pas dans la croyance en l’unité divine et en la sainte Trinité ; ils n’exigent point d’eux qu’ils croient dans leur cœur à la justice ni qu’ils assurent leur salut par la confession. »

Si peu généreux que soit Boniface envers les païens, il ne les maltraite point par de si acerbes paroles. En présence des désordres qu’il retrace, il éprouve une horreur comparable à celle qu’ont ressentie les prophètes devant les spectacles d’abomination et de désolation qu’ils ont décrits avec emportement. Ainsi que les prophètes qu’il a beaucoup étudiés et qui lui ont donné, comme à tant d’ecclésiastiques, un ton de lamentation relevée par l’invective, ce moine triste exagère le mal, et, en toute sincérité, charge son tableau de couleurs dont plus d’une est fausse assurément. Les mots, dans sa bouche, ne disent pas ce que sont les choses. Le mélange qu’il réprouve de coutumes païennes et de rites chrétiens n’est peut-être qu’un effet de cette tolérance intelligente que Grégoire le Grand recommandait aux missionnaires envoyés par lui en Angleterre, comme le moyen d’attirer doucement les païens autour des églises et de transformer peu à peu leurs superstitions en hommages aux saints martyrs. Pour qu’un prêtre soit dit par Boniface homicide ou adultère, il suffit qu’il aille à l’armée ou bien qu’il soit marié. Un évêque est un faux évêque, s’il n’est pas classé dans la hiérarchie comme on l’entend à Rome. Bref, tous les missionnaires irlandais, leurs élèves et leurs ouailles sont enveloppés dans la même réprobation, car c’est bien d’eux qu’il s’agit. Certains traits de la description faite par Boniface ne conviennent qu’à ces irréguliers du christianisme.

« À quoi donc peuvent servir les bonnes œuvres, si elles sont faites en dehors de l’église catholique ?.. » Ces mots d’un Anglo-