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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.


rection, prêchant où ils se trouvent, semant en terre vierge la parole divine et laissant pousser la moisson sans la croire perdue si quelque ivraie se mêle aux bons épis. Boniface est l’homme de la règle, de la norma de la regula, de la rectitudo, du canon. Ces mots sont souvent sous sa plume et cette idée toujours dans sa tête. Or l’église romaine est à ses yeux la dépositaire de la tradition canonique. Il a été élevé dans la haine des dissidens, dans le mépris des irréguliers et des révoltés ; puis, comme tous les Anglo-Saxons qui cultivent à la fois « la science des lettres libérales et celle des saintes Écritures, » citent Virgile et les psaumes, étudient les canons et la métrique ancienne, il vénère la double majesté de Rome, la ville maîtresse de l’ancien monde et la source de toute sagesse séculière, mais aussi la capitale de l’église universelle, le grenier qui garde la semence de la foi, le lieu saint où sont morts les apôtres Pierre et Paul, et tant de martyrs, de vierges et de confesseurs dont Dieu seul sait le nombre et les noms, le trône de l’évêque à qui le Christ a donné le pouvoir de lier et de délier sur la terre et dans le ciel. Rome est en toute chose son guide et son recours. À Rome, il demande de lui confier pour la répandre « la semence de vérité. » À Rome, il soumet tous ses doutes, et il adresse toutes ses questions afin que lui et le successeur des apôtres « aient une seule et même parole. » — « Je suis, dit-il, le disciple de l’église romaine. » Ce n’est point tel ou tel pontife qui est l’objet de son culte ; il n’a pas été le courtisan des papes, auxquels il a fait entendre plus d’une fois de dures vérités. Il distingue entre eux, qu’il croit capables d’altérer la tradition canonique, et l’église romaine, gardienne des vraies règles. Il se la représente comme une personne vivante, qui ne peut ni tromper ni se tromper, et il l’aime, comme ses sœurs des monastères, d’une mystique affection : « J’ai vécu dans la familiarité, dans le service du siège apostolique, et toujours j’ai confié au pontife apostolique toutes mes joies et toutes mes tristesses. » In servitio apostolicœ sedis : voilà bien la devise de Boniface ; on diminue peut-être sa gloire, mais on rétablit la vérité en disant qu’il a été moins un apôtre qu’un légat du saint-siège.

II.

En l’année 717, Boniface quitta l’Angleterre pour aller prêcher en Frise. De là, il se rendit à Rome. Sa première visite fut pour le tombeau de saint Pierre, auquel il demanda l’absolution de ses péchés. Quelques jours après, admis à l’audience du pape, il lui conta son voyage et le motif de sa venue, puis il sollicita la permission d’aller prêcher les infidèles. Le pape, qui l’avait écouté