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LE PATRONAGE DES LIBÉRÉS.

qu’elle y retombera et n’arrivera point au but qu’elle s’était proposé, dans ce premier mouvement dont M. de Talleyrand recommandait de se méfier, parce qu’il est toujours bon. C’est donc Paris qui fournit des pensionnaires à l’asile, et l’on peut reconnaître qu’il n’y envoie pas la fleur du panier. En effet, les sœurs de Marie-Joseph, les dames de l’Œuvre des Libérées dont j’ai précédemment parlé, ont, en quelque sorte, le droit ou le privilège de faire leur choix les premières et l’on pourrait dire, sans trop forcer la note, que l’asile de la rue Lourmel ne reçoit que celles dont personne n’a voulu. Le mot m’a été dit : « Nous n’avons que le rebut de Saint-Lazare. » Eh bien ! on en tire un excellent parti, grâce à une combinaison dont l’intelligence m’a vivement frappé.

Dans les premiers temps, lorsque l’on vivait dans une maisonnette accostée d’un jardinet, on s’était ingénié à occuper les femmes d’une façon fructueuse pour elles, pendant qu’on leur cherchait un emploi, que trop souvent l’on ne découvrait pas, car ils sont bien limités, les métiers auxquels une femme peut s’adonner sérieusement. La force musculaire de l’homme lui permet de s’utiliser là où la femme est incapable ; il peut s’improviser terrassier, gravatier, démolisseur, déchargeur ; à telle besogne, un peu de vigueur et quelque courage suffisent. Pour la femme, il n’en peut être ainsi : sa faiblesse est un obstacle invincible ; elle n’est guère apte qu’aux œuvres d’adresse, celles qui exigent des bras robustes lui sont interdites. La paysanne qui vaque aux travaux des champs a été façonnée par un lent apprentissage commencé dès l’enfance, et encore est-elle réduite souvent au sarclage, à la fenaison, aux soins de la basse-cour et de la vacherie ; les plus solides battent le blé sur l’aire et sont promptement épuisées par la fatigue. En outre, les métiers sédentaires, auxquels la femme semble condamnée par sa constitution même, sont bien peu rémunérateurs. On en fit l’expérience rue Lourmel. Les libérées n’avaient d’autres ressources que le travail de la couture ; à assembler des draps, à ourler des torchons, on gagne peu : 10, 12 sous par jour ; comment vivre, comment économiser ? On s’en préoccupait ; le problème devenait ardu. Allait-on être obligé d’abandonner ces malheureuses, parce que l’on ne trouvait pas moyen de pourvoir à leurs besoins et de leur mettre en main un instrument qui leur permît de vivre ? La question était d’autant plus difficile à résoudre que la plupart des libérées ne savaient en réalité aucun métier, et que l’on était, à cause de cela même, presque dans l’impossibilité de les empêcher de retomber dans la récidive. C’est alors que M. Bérenger eut une idée des plus ingénieuses et qui fut féconde. Il se dit que, puisque les pensionnaires n’avaient point de métier, il fallait leur en enseigner un, et que, pour être véritablement utile et faire acte de sauvetage, l’asile