Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
870
REVUE DES DEUX MONDES.

dans le désespoir, qu’il comprenne, s’il se peut, la grandeur du crime que sa sottise trempée de vin lui a fait commettre.

Les hommes qui, après avoir failli, conservent une délicatesse de sentimens d’où peuvent naître pour eux de nouvelles infortunes, sont rares et très à plaindre. Derrière toute parole, ils voient des allusions, en aperçoivent là où il n’en existe pas, et souvent, par excès du désir qu’ils éprouvent à cacher un passé pénible, y retombent, ou cherchent dans la mort l’anéantissement de leur souvenir. Les autres sont plus philosophes ; volontiers, parlant ou entendant parler de leurs condamnations, ils diraient : « j’ai eu des malheurs ; » ils cherchent à tirer le meilleur parti possible de l’existence qu’ils se sont eux-mêmes rendue pénible, et, lorsqu’ils y parviennent, il n’est que juste de les applaudir, car ils ont compris, par leur propre expérience, que la régularité est supérieure aux hasards de mauvais aloi qui jadis les avaient séduits. Si, dans les emplois qu’ils occupent, ils rencontrent, à cause de leur passé, des difficultés trop dures, ils retournent à l’asile, qui ne les repousse pas. On leur tient compte de leur bon vouloir, on apprécie l’effort qu’ils ont accompli, et comme on ne veut pas, sous prétexte de relèvement, les condamner à une vie intolérable, on lâche de leur découvrir un emploi meilleur où ils puissent, sans être exposés aux avanies, jouir du fruit de leur travail et avoir le bénéfice de leur bonne conduite.


IV. — LES FEMMES.

Il est advenu à la Société du patronage ce qui arrive invariablement à toute œuvre bien conçue, de large esprit et portant avec elle un bienfait social : elle a été obligée d’élargir son cercle d’action et de se multiplier, afin de ne point repousser des misères intéressantes. Elle eût voulu, dans le principe, se limiter au patronage des hommes ; mais, toute galanterie mise à part, elle n’eut point le courage de se refuser aux femmes qui l’invoquaient, et, en 1881, sur l’initiative de M. Bérenger, un asile pour les femmes libérées fut créé et installé rue Lourmel. Il est mitoyen avec l’infirmerie des Dames du Calvaire ; par-dessus le chaperon d’une petite muraille, le cancer du corps et le cancer de l’esprit peuvent s’apercevoir ; quel est le plus incurable ? Le recrutement se fait presque exclusivement à la prison de Saint-Lazare ; quelques femmes viennent de la maison centrale de Clermont, mais le fait est tellement rare qu’on pourrait, sans manquer à la vérité, le passer sous silence. Plus encore que l’homme, la femme est sujette à faillir, et si elle a un long voyage à faire pour venir jusqu’à la maison du salut, elle rencontrera au cours de sa route tant d’occasions de retomber en faute