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« Il veut travailler, en voilà un fainéant ! » Bien souvent il n’en faut pas plus pour faire évanouir les résolutions que le séjour de la cellule a pu inspirer. On ne tarda pas à reconnaître les inconvéniens que créait ce mode de protection. Les libérés se présentaient au siège de la société, y revenaient une fois ou deux, puis disparaissaient. Qu’étaient-ils devenus ? Les greffes judiciaires auraient pu répondre. On comprit que, pour être et demeurer efficace, le patronage devait posséder un asile ne relevant que de lui et où il hébergerait les libérés qui crieraient à l’aide ; mais, pour que cet asile restât temporaire, ne fût qu’une maison de convalescence et ne devînt point une retraite ouverte à la paresse et à la nonchalance, il fut décidé que l’on n’y pourrait être accueilli que pendant douze jours pleins. En 1878, on s’installa dans une maisonnette louée rue Rouelle et qui bientôt devint insuffisante. On fit un effort, on contracta un emprunt, et la société est, depuis 1880, propriétaire d’un asile situé rue de la Cavalerie, n° II, vers les confins de l’École militaire, dans le XVe arrondissement, sur des terrains qui faisaient partie de la plaine de Grenelle et où jadis j’ai vu des jardins maraîchers.

La rue n’est pas belle et la maison n’est point un palais. La rue, mal pavée, servant à toute sorte d’usages dont l’incongruité est manifeste, commence à l’avenue de Suffren et rejoint l’avenue Lamotte-Piquet par un retour d’équerre à l’angle duquel s’élève une masure percée d’une porte charretière donnant accès dans un préau orné d’un arbre qui paraît étonné de sa solitude. C’était une maisonnette à laquelle on a pu ajouter un corps de bâtiment légèrement construit, qui contient les ateliers, le réfectoire et les dortoirs ; la petite maison sert de logement au régisseur, qui est un homme vigoureux, de figure bienveillante, de regard franc, dont j’aurai suffisamment fait l’éloge en disant qu’il a été sous-officier d’infanterie et que, pendant dix-sept ans, il a appartenu aux brigades des sergens de ville. Il connaît bien son personnel, « ne s’en fait pas accroire, » traite ses pensionnaires avec une mansuétude qui n’est pas de la faiblesse et maintient la discipline imposée par le règlement. Lorsque j’ai visité la maison, elle renfermait quarante et un libérés ; on ne pourrait en coucher davantage ; la veille, il s’en était présenté dix-sept, qu’il avait été impossible de recevoir, faute de place, et que l’on avait dirigés sur l’asile de nuit municipal récemment installé quai de Valmy. La règle est uniforme et l’on est tenu de s’y soumettre. À six heures du matin, lever ; après les ablutions et un repas sommaire, le libéré est libre jusqu’à midi ; c’est l’heure des « grèves, » c’est-à-dire de l’embauchage de ce qu’autrefois l’on nommait les tâcherons, ouvriers de forte besogne, engagés à la journée et payés chaque soir. À midi, le libéré doit