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l’assassin. Dans la lutte, il eut le bras traversé de part en part. Conduit à l’infirmerie, regardant sa blessure dont le sang coulait avec abondance, il dit en souriant : « Qui sait ? C’est peut-être le mauvais sang qui s’en va. » M. Jaillant n’eut qu’à demander la grâce de H… pour l’obtenir sans restriction, c’est-à-dire avec la suppression de la surveillance de la haute police et de la résidence obligatoire. Voilà trente-huit ans de cela ; depuis lors, H… n’a pas eu une défaillance. On s’en est occupé a ce sollicitude, je n’ai pas à le dire, mais il n’a jamais trompé l’espoir de ceux qui s’intéressaient à lui. Il a fait divers métiers, ponctuellement, à l’abri des reproches, et de tous les ateliers où il a travaillé, il est sorti avec des certificats honorables. À une certaine époque, il fut pris par le chômage et réduit à de dures extrémités ; il resta droit et ne se courba point vers les actions mauvaises. La Société de patronage existait déjà, il s’y présenta ; on lui fit fête, car on y connaissait son aventure, et la confiance qu’il inspirait y reçut un éclatant témoignage. Une ville de province venait d’installer, à grands frais, un square, lieu de promenade, de jeux pour les enfans, et qui exigeait une surveillance à la fois active et paternelle. Le poste de gardien, convenablement rétribué, était fort recherché ; grâce au patronage. H… en fut pourvu. Celui qui avait porté la casaque du réclusionnaire revêtit la tunique galonnée, se coiffa d’un képi à cocarde et sentit un sabre battre à son côté. L’homme qui, pendant tant d’années, avait combattu contre toute autorité, devenait le représentant de l’autorité, en avait les insignes, en faisait respecter les règlemens ; il fut impeccable dans ces fonctions qu’on lui avait hardiment confiées et qui le rehaussaient à ses propres yeux. Il a été le modèle des surveillans, et les gratifications que la municipalité lui accordait spontanément ont prouvé en quelle estime on tenait ses services. On le regretta, lorsque l’âge, l’affaiblissant et lui ayant imprimé le tremblement sénile, le contraignit à quitter la place où il n’avait mérité que des éloges. Il vit toujours ; il est au repos dans une maison hospitalière qui reçoit les vieillards indigens et leur donne asile jusqu’au départ définitif. Il y est très aimé ; on n’y sait rien de lui, si ce n’est que sa conduite est exemplaire et qu’il exerce de l’influence sur ses compagnons. Quand surgit quelqu’une de ces disputes si fréquentes entre vieux malingreux, ou que l’on prévoit du trouble dans les dortoirs et dans les préaux, on s’adresse au père H…, qui n’est pas lent à remettre tout en bon ordre. Il est l’auxiliaire bénévole de la direction ; il est en quelque sorte le juge de paix dans cette population de la misère et de la caducité, dont ses paroles conciliantes apaisent les différends. Lorsque la mort l’aura touché, le garçon de salle qui enveloppera son cadavre dans la funèbre serpillière sera bien surpris